LA CHENILLE QUI VOULAIT DEVENIR COMPAGNON
Il y a très longtemps, au milieu d’une forêt, vivait une jeune chenille. Elle ressemblait à toutes les autres, avec son corps mou et quelque peu velu. Elle passait son temps à manger les feuilles, parcourant très lentement les sentiers de la forêt et aucun autre animal ne faisait attention à elle. Les journées se succédaient, toutes semblables, et rien ne laissait prévoir qu’il put en être autrement.
Et pourtant, un jour, la chenille en eut assez. Elle voulait vivre autre chose. Elle ne savait pas bien quoi encore mais elle se dit qu’en allant à la rencontre des autres animaux, certainement que cela pourrait tout changer. Elle avait bien remarqué, au hasard de ses promenades, que les autres habitants de la forêt semblaient s’ignorer un peu. Chacun suivait son chemin, faisant comme si l’autre n’était pas là. Pire encore, il arrivait que les animaux se battent entre eux pour être toujours le premier. Et c’est ainsi que les plus faibles étalent peu à peu obligés de quitter leur forêt.
La chenille partit donc un beau matin. La rosée inondait encore les feuilles et les premiers rayons du soleil perçaient tout juste à travers les épais branchages. Elle ne savait encore comment elle s’y prendrait mais peu à peu l’idée lui vient d’être compagnon?, compagnon des autres animaux. Elle était tout heureuse, pensant que grâce à elle le monde serait meilleur. n suffirait qu’elle aide, leur indiquant comment s’entendre entre eux. Si elle avait su siffloter, on aurait pu l’entendre en prêtant bien l’oreille.
Au détour des sentiers, elle rencontra beaucoup d’animaux. Mais bien vite, elle se rendit compte de la difficulté de son entreprise. Elle ne savait pas chanter comme les oiseaux, elle ne pouvait pas courir comme le plus petit des lapins, elle n’avait pas la beauté des biches, l’œil vif des renards, le flair des sangliers, la douceur des écureuils. Peu à peu, elle eut le sentiment la nature ne lui avait réservé aucune richesse, les ayant toutes données aux autres espèces. Et plus le soleil montait dans le ciel, plus la chenille sombrait dans la tristesse. Elle n’arriverait à rien, jamais personne ne s’intéressait à elle. Elle aurait voulu être compagnon, mais n’ayant qu’un corps mou et velu, elle se sentait incapable de faire quoique ce soit.
Quand la nuit recouvrit la forêt, la chenille était toute désespérée, n’ayant plus aucune confiance en elle. Aussi, toute révoltée, elle décida que puisqu’il en était ainsi, elle choisirait de vivre toute seule, sans rien demander à personne. Elle commença à se replier sur elle-même. Son désir de se couper du monde était tel qu’elle s’enveloppa tout entière dans sa bulle sans se rendre compte qu’elle devenait ainsi prisonnière de son cocon.
C’est alors qu’une petite voix murmura en elle-même. Elle ne l’avait encore jamais entendue et pourtant elle lui semblait familière. Dès que cette voix se mit à lui parler, la chenille sentit une grande chaleur dans son coeur.
« N’aie pas peur, lui disait elle, je suis avec toi. Tu souhaitais être compagnon de tous les animaux en voulant les aider à changer de conduite. Tu pensais qu’à toi toute seule tu pourrais changer le monde. Mais tu t’y prends mal. Tu n’as rien à faire pour cela, laisse-toi simplement aimer. Commence par reconnaître tes richesses avant d’envier celles des autres. Ne dis pas que tu es incapable. Crois seulement que si tu aimes vraiment avec ce que tu es, alors tout changera autour de toi. »
Aussitôt la chenille résolut de changer son regard sur elle-même. C’est sûr, cela faisait bien un peu mal. Elle eut même l’impression de n’être plus qu’une infâme bouillie. Mais en même temps, elle sentit peu à peu une grande confiance renaître en elle. Elle découvrît que ce n’était pas en imitant les autres qu’elle changerait le monde. Elle y parviendrait seulement en accueillant d’abord ce qu’elle était pour mieux aimer les autres animaux.
Quand le soleil reparut, elle se sentit des ailes dans le dos, prête à repartir, mais cette fois-ci de la bonne manière. Elle creva sa bulle et, soudain, s’éleva dans le ciel. Qu’elle ne fut pas sa stupeur quand elle découvnÎ qu’elle n’était pas seule. Déjà de nombreux papillons voletaient. Avec le soleil levant, leurs ailes devenaient chatoyantes. Elle aussi était toute lumineuse, ne sachant pas très bien si c’était son corps mou et velu qui avait changé ou si c’était son regard nouveau qui était la cause de ce changement.
Les papillons partirent ensemble et plus ils avançaient, plus ils étaient heureux. En effet, à leur passage, les oiseaux se mirent à chanter, les lapins gambadèrent de plus bel comme pour courir avec eux, les biches les laissaient se poser sur leur dos, les renards ne cessaient pas d’admirer leur beauté, les sangliers suivaient le chemin qu’ils traçaient, les écureuils jouaient avec eux dans les arbres. Il avait fallu finalement peu de chose pour que tout changeât. Les papillons devinrent les compagnons de tous les animaux. C’est ainsi que toute la nature eut un air de fête, chacun se réjouissant de l’autre.
Depuis ce jour, toute la forêt vit dans la paix. Si tu passes par là, n’hésite pas à prendre le temps de t’arrêter et à interroger un des papillons. iI te racontera comment être compagnon, c’est prendre la route avec ce que l’on est et avec les autres. II t’apprendra à te mettre à l’écoute de cette petite voix qui murmure déjà dans ton coeur. Tu souhaites rendre les hommes heureux et transformer le monde pour cela : le secret du bonheur n’est pas en dehors de toi. C’est dans une conversion permanente de ton regard et dans le don total de toi-même aux autres que tu puiseras cette force intérieure. Le chemin sur lequel tu veux t’engager n’est pas une distance à parcourir, il est un Autre à découvrir. Ne crains pas d’avancer…
Auteur anonyme