GADLU.INFO compte un nouveau contributeur en la personne de Jérôme Touzalin.
Jérôme Touzalin est un dramaturge , responsable de la communication et membre du Conseil de l’Ordre, de la Grande Loge Traditionnelle et Moderne de France.
Il nous offre aujourd’hui un petit propos maçonnique :
Ça se voit de loin !
Si l’on veut résumer une époque pour en exprimer ce qui la caractérise le plus, il y a un moyen très simple, c’est d’imaginer un promeneur, dans la campagne, qui s’approche d’une cité, il lève son regard, et c’est ce qu’il découvre, tout à l’horizon, qui est le trait dominant de l’époque qui s’offre lui.
Choisissons comme ligne de départ, pour notre expérience, les siècles de la Grèce antique… Voilà notre marcheur qui lève le nez et que voit-il tout au bout de son regard ? Perché sur des rochers, se découpant sur un superbe ciel bleu ? Un temple, un magnifique temple rutilant de couleurs, un temple dédié à l’un des innombrables Dieux enrichissant le panthéon des habitants vivants dans la vallée… Peut-être même, notre promeneur va-t-il croiser Zeus métamorphosé en humain, ou en un animal vigoureux, venu là pour conquérir une belle mortelle, à l’insu de sa terrible et jalouse épouse Héra… En ces temps les Dieux étaient malicieux et savaient comment égayer leur vie ! C’étaient alors les Dieux qui étaient à l’image des hommes… et non point les hommes qui se pensaient à l’image de Dieu… Moi, j’aime bien les Dieux bons vivants de l’antiquité… Ceux dont on a hérité par la suite sont nettement moins rigolos… mais, passons, c’est un autre débat. C’était une époque où les Dieux se faisaient la guerre entre eux, avec les hommes, contre les hommes, tout autant que les hommes et pour des motifs très humains.
Si notre promeneur marche lentement sur son sentier, il va vite sur la courbe du temps, nous le retrouvons à l’orée du Moyen âge, il sort de la forêt, redresse le visage et que découvre-t-il, dans le lointain ? Qu’est-ce qui figure le mieux l’époque se découpant dans le ciel, sur un piton surplombant une gorge escarpée, et qui dit la préoccupation des hommes : les remparts épais et le donjon d’un château fort… les temps ont changé, il faut faire vite pour se mettre à l’abri des bandes de brigands qui parcourent la contrée, ou des princes voisins qui veulent étendre leur territoire… Heureusement le seigneur est là qui protège, même si, en retour, il faut lui payer un tribut qui asservit un peu.
Notre promeneur presse le pas, pour quitter ce lieu et cette époque incertaine, le voici quelques siècles plus tard, il avance dans la plaine, au milieu des blés qui frissonnent, il porte son regard au devant de lui… il ne met pas longtemps à chercher car il aperçoit, depuis des lieues maintenant, les flèches d’une cathédrale élevée à la gloire de Dieu en ces temps mystiques. La population n’a guère avancée en culture, ne sait ni lire, ni écrire et pour toute envolée croit en ce Dieu céleste qu’on lui raconte et dont on dit qu’il les surveille de près et peut exercer son terrible courroux à tout moment. Mais les hommes lui bâtissent ces vivants livres de pierre et espèrent que leurs péchés leur seront pardonnés. Peut-il y avoir règle plus simple à suivre ? L’époque est à la prière. Pourquoi se casser la tête quand on casse des cailloux ?
Tout va si vite, le temps est impitoyable, passent les siècles, l’homme demeure et continue d’imprimer sa marque, celle qui toujours signe son époque ; que voit-il maintenant notre promeneur, au détour d’un virage… tout là-bas dans la brume de l’horizon… Adieu les temples, les châteaux forts, les cathédrales, la route a été longue pour venir jusque là, pendant des siècles la société n’a pas trop bougée, maintenant ce qui s’offre en premier, à sa vue, ce sont les longilignes cheminées des usines crachant leur fumée grise, s’en allant salir les nuages… on imagine les hommes en rang serrés rejoignant les fourneaux, s’engouffrant dans le ventre de la terre, pour y offrir, encore et toujours, le don de leur labeur et l’usure de leur corps. Voici venu le temps des industries triomphantes. Nouveau Dieu très matérialiste cette fois et qui ne libère pas davantage… de la pierre blanche on est passé au charbon… et noir est l’espoir. Triste époque.
Et faisant un bond, nous voici à aujourd’hui… notre homme est infatigable, il n’est pas prêt d’arrêter sa marche, c’est inexorable depuis la nuit des temps, il presse le pas ! Que voit-il désormais, dans le lointain ? Qu’est-ce qui obstrue son paysage ? Jaillies de terre, qu’est-ce qui domine donc son siècle : Les hautes et orgueilleuses tours de verre des multinationales bancaires et commerciales qui s’emparent maintenant du ciel. Tout là-haut, là où l’oxygène commence à se faire rare, les hommes présentent leurs livres de comptes au Seigneur Dieu de la toute puissance de l’argent… les murs sont maintenant de verre c’est une illusion de penser la vie plus transparente, les surfaces glacées donnent toujours à voir sur la servitude des hommes…
Sonnent les heures, passent les jours, déferlent les siècles… que faut-il penser du chemin de l’homme ? De prime abord, tout change, mais est-ce que quelque chose bouge réellement ?
Sur la planche à tracer du temps, il n’apparait pas que l’homme s’oriente vers plus d’humanité, la matérialité continue de l’emporter sur tout autre projet… Car si notre route a semblé parfois s’approcher de plus de spiritualité, il ne faut pas croire que ces époques étaient bénies… elles comportaient leur tribut de violences et d’atrocités… Peut-être voyait-on de très loin la maison de Dieu, mais on vous brulait, écartelait, allègrement dans le même temps… le carnage entre les hommes est permanent.
Je crois qu’il appartient au Franc-maçon de prendre la main de l’homme et de le guider vers plus de spiritualité… une spiritualité raisonnée, débarrassée des superstitions, une spiritualité qui élève véritablement… il appartient au Franc-maçon de faire comprendre que, sans renoncer aux biens matériels, qui sont à l’évidence une exigence inhérente à notre condition, nous sommes sur cette terre pour œuvrer à l’entente entre les hommes.
C’est un travail patient, de chaque instant, de chaque jour, dans la confrontation que nous avons avec chacun d’entre nous, à l’égard de tous, forts ou faibles, riches ou pauvres, afin que le promeneur du futur voit se dresser devant lui des hommes, des hommes grands et non plus seulement des bâtiments… qui ne sont que des façades dès lors que ceux qui pénètrent à l’intérieur ne sont pas habités par la passion de construire une société enfin pacifiée.
Jérôme Touzalin GLTMF Octobre 2016