Bruxelles maçonnique : réfutation des critiques émises par Joël Goffin à propos du livre de Jean van Win intitulé « Bruxelles maçonnique : faux mystères, vrais symboles ».
Ce qui est vrai se doit d’occulter ce qui est faux.
Exposé des motifs
Le site Bruges-la-morte.net détaille une série de réfutations, importantes ou accessoires, de mon livre Bruxelles maçonnique, publié en 2007 par les éditions Cortext, et réédité en 2012 aux éditions Télélivre, Jacques Rouben, à Bruxelles. Cette réédition fut cautionnée et préfacée par le bourgmestre de la Ville de Bruxelles. Mon contradicteur a éprouvé le besoin de donner à ses considérations une large publicité, et se répand sur divers sites Internet. Je me dois donc d’y répondre.
Je ne retiendrai du document de Joël Goffin, qui est loin de manquer d’intérêt, que les principaux points avec lesquels je suis en désaccord, le plus important d’entre eux constituant la thèse qu’il résume en sa conclusion que voici :
« la construction du Parc Royal de Bruxelles s’apparente à un investissement de l’espace public par un franc-maçon de haut rang, en l’occurrence le prince de Starhemberg. Il faut y voir un jeu (sic) intellectuel hautement spéculatif allié à un désir de prestige personnel. Et non un parcours initiatique au sens strict ». On peut en déduire ceci : ce n’est pas Charles de Lorraine qui est à l’origine de la construction du Parc de Bruxelles, et ce dernier est ornementé de symboles maçonniques introduits par Georg Adam von Starhemberg.
Cette thèse, historiquement erronée, ne peut obtenir mon agrément, et je vais tenter de démontrer, et de confirmer à ceux et celles que cette controverse peut intéresser, que le Parc de Bruxelles n’a aucune connotation maçonnique que ce soit, et que, selon mes informations, le prince von Starhemberg ne put en rien être l’auteur d’une initiative de cette nature.
Nous commencerons la démonstration par quelques points génériques, et poursuivrons, selon l’usage, par une revue des points spécifiques appuyant ma réfutation des arguments utilisés par Joël Goffin.
A–Points génériques : les analyses de spécialistes en urbanisme et d’historiens du XVIIIe siècle.
- Christophe LOIR : « Bruxelles néo-classique ; mutation d’un espace urbain, 1775-1840 » éditions CFC, Bruxelles, 2009. L’auteur est historien, historien de l’Art, historien du Christianisme, docteur en philosophie et lettres et chercheur qualifié au CNRS. Extraits des pages 101-102 :
Citation : « Des enfants personnifient les Arts et les Sciences. Ces deux groupes, sculptés par Gilles Lambert Godecharle, représentent d’un côté, le Commerce et la Navigation, et de l’Autre, les Arts et les Sciences […]
« Les médaillons présentés par ces deux groupes sculptés mettent l’accent sur le rôle que joua le prince de Starhemberg, ministre plénipotentiaire, dans la réalisation du Quartier Royal. Né à Londres en 1724, ayant exercé de hautes fonctions administratives tant à Lisbonne qu’à Madrid, à Paris et à Vienne. Georg Adam de Starhemberg possède une vaste culture urbaine. Ce haut-fonctionnaire cosmopolite s’est probablement promené dans les squares londoniens, sur les places royales parisiennes et dans les parcs viennois.
« Nous l’avons vu, un des enfants du groupe sculpté de droite montre au promeneur un médaillon sur lequel est représenté le plan du parc de Bruxelles. Il s’agit d’un plan orienté au nord et déroulé aux deux tiers. Il représente non seulement le Parc mais également les artères qui l’entourent.[…] Grâce au plan, on découvre la régularité de cet espace rectangulaire – 440 mètres sur 305 mètres à l’origine – présentant, côté nord, deux angles coupés. Plusieurs larges allées rectilignes le structurent, des allées de pourtour longent les allées du Parc, formant, à l’intérieur, une patte d’oie depuis le rond-point : une allée axiale est en effet flanquée, de part et d’autre, d’une allée biaise et deux allées transversales coupent cette patte d’oie, selon un axe est-ouest ». Fin de citation.
- Xavier Duquenne : auteur de deux livres importants, dont l’un consacré au château de Seneffe, et couronné par l’Académie française, l’autre au Bois de la Cambre. L’ouvrage Le Parc de Bruxelles, édité par CFC éditions, Bruxelles, 1993, constitue une étude pointue du Parc et comporte de nombreux documents iconographiques d’un haut intérêt. Extrait de la page 50, Ch. III :
« C’est dire aussi, à l’encontre d’autres opinions, qu’il ne provient pas non plus d’une volonté d’y représenter des emblèmes maçonniques, que l’on peut y voir aisément – notamment le compas, lequel est dû avant tout aux contraintes susdites et à la structure classique de la patte d’oie. »
- Georges Renoy : narrateur prolixe de Paris et de Bruxelles, enseignant, écrivain, journaliste et collectionneur de tout ce qui concerne Bruxelles dont il a lu tout ce qui s’écrit à son propos. Il est préfacé ici par l’architecte Victor G. Martiny, membre de l’Académie, et ancien Grand Maître du Grand Orient de Belgique, qui cautionne cette œuvre « que l’on abandonne que difficilement une fois commencée » écrit-il. Georges Renoy fut un libre-exaministe convaincu. Extrait de son ouvrage : Bruxelles Vécu Quartier Royal, éditions Rossel 1980. L’iconographie est abondante et souvent inédite.
Citation :
« Trois petits points et puis s’en vont.
« Le tracé du Parc de Bruxelles, conçu à la fin de ce que l’on a coutume d’appeler le Siècle des Lumières, a donné lieu aux interprétations les plus fantaisistes, particulièrement de la part de quelques marginaux de l’Histoire qui ne sont heureux que si une pierre, aussi anodine soit-elle, se trouve chargée de mystère et de symbolisme occulte.
Pour ces maniaques de l’ésotérisme, une balade du temple carré de Saint-Jacques au grand bassin circulaire, en passant par l’octogone du premier carrefour, permet la réalisation de ce vieux rêve qui hante la nuit des chercheurs : la quadrature du cercle.
« Grâce au plan gravé dans le médaillon de pierre du groupe des Arts, l’ « initié » découvre, avec la joie que l’on devine, les outils symboliques de la Franc-maçonnerie spéculative : équerre, compas, maillet, niveau, truelle. Tout un arsenal d’accessoires de constructeurs de cathédrales réduits à transmettre les secrets de la tradition par le truchement des allées d’un parc public. Savent-ils, ces décortiqueurs de plans, qu’en entrant dans l’Ordre, le futur Apprenti fait le serment « de ne jamais graver, tracer ou buriner aucun caractère, par où les secrets de la Maçonnerie puissent être dévoilés » et qu’il préfèrerait « avoir la gorge coupée plutôt que de manquer à sa parole » ?
« Mais sans doute les rangs du Grand Orient de France, tout nouvellement créé en 1773, recèlent-ils des traîtres, parjures, au nombre desquels figurent les Guimard, les Barré, ces petits architectes de l’univers… Rêver pour rêver, autant aller jusqu’au bout.
« Dommage cependant que le théâtre du Parc n’était pas prévu dans le pan initial et que cette césure dans le périmètres du Parc, qui permet aujourd’hui d’y découvrir une équerre, n’existait pas à l’origine. De toutes manières, si équerre il eût fallu, elle se serait trouvée ailleurs et autrement disposée. Au fait : quid de l’étoile flamboyante, des trois points, du pavé mosaïque, du Delta, de la chaîne d’union… Et quelle est cette perpendiculaire, sans triangle, inscrite dans un polygone irrégulier ?
« Il ne suffit pas de compiler le petit Léo Taxil illustré pour s’en aller à la découverte de l’Art Royal, et il y a très gros à parier que le Parc de Bruxelles ne soit que ce qu’il est : une merveilleuse promenade urbaine au cœur d’un quartier digne d’elle, plutôt qu’un temple maçonnique en plein air. Ce qui n’est déjà pas si mal.
« Quant à vouloir découvrir à tout prix les symboles qui permettent aux Maçons de se reconnaître entre eux, il doit être possible, en cherchant bien, d’en apercevoir dans le plan terrier du Vatican… ». Fin de citation.
Conclusion de ces trois extraits venant de chercheurs qualifiés, et il en est encore bien d’autres : ils sont édifiants et nous pourrions arrêter ici les réponses documentaires que je fais aux allégations de mon contradicteur. Sans doute est-il illusoire d’imaginer le prince von Starhemberg traçant les plans d’un parc maçonnique, qui plus est situé aux Pays-Bas autrichiens. Mais on ne convainc pas ceux qui ont la foi. Passons donc aux arguments spécifiques portant cette fois sur des points d’histoire, selon les méthodes éprouvées de la critique historique et selon des sources contrôlables et non imaginaires.
B- Réfutation argumentée des points particuliers soulevés par Joël Goffin à propos du Parc de Bruxelles et de Charles de Lorraine
Voyons d’abord les sources bibliographiques belges portant sur la Maçonnerie des Pays-Bas autrichiens. Trois auteurs, dits « historiens », traitent de l’histoire de la maçonnerie aux Pays-Bas autrichiens :
Adolphe CORDIER 1854 ; médecin militaire, historien « par vocation ». Membre de la Parfaite Union à Mons, Grand Orient de Belgique. Commet d’innombrables erreurs et ne donne jamais ses sources. Se réfère à des documents introuvables et sans doute inexistants. Est la seule et unique origine de la fable de Charles de Lorraine franc-maçon. Est recopié, hélas, par ses deux successeurs.[1]
Paul DUCHAINE : 1903. Avocat et membre du Grand Orient de Belgique. S’appuie sur Cordier, mais le critique sévèrement à l’occasion. Beaucoup plus fiable que Cordier, il s’y réfère néanmoins souvent et reprend à son compte des fables non établies. A cependant découvert, dans des archives diverses, nombre d’éléments historiques importants. Préfacé par le comte Goblet d’Alviella, qui n’était pas exempt d’une certaine naïveté, en dépit de ses importantes fonctions maçonniques et universitaires.
Bertrand VAN DER SCHELDEN. Moine capucin mineur, écrit à Louvain en 1923 ; se base sur ses deux prédécesseurs. Compulse et analyse des tonnes d’archives et apporte certains éléments intéressants à l’histoire de cette période. Est néanmoins hostile à l’Ordre maçonnique, ce qui n’apparaît ostensiblement que dans sa conclusion.
En bref : le plus fiable des trois est Duchaîne. Cordier ne l’est pas du tout, car il écrit en 1854 et, en inventant et « maçonnisant » sans le moindre document le « frère » Charles de Lorraine, vise à restaurer le prestige du Grand Orient de Belgique. Ce dernier avait en effet perdu les reconnaissances internationales de la maçonnerie universelle, à cette date, pour n’avoir pas respecté l’interdiction traditionnelle portant sur les discussions théologiques et politiques en loge ouverte. La « maçonnisation » hagiographique de Charles de Lorraine, comme celle du « frère » Léopold 1er plus tard, et pour des raisons similaires, sont des inventions et des créations maçonniques à visées politiques.
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Page 1 note 3 : « Pierre Chevallier cite une lettre du marquis de Tavannes du 9 octobre 1738 qui prouverait la qualité de Maçon de Charles de Lorraine, ou pour le moins, son intérêt pour l’Art Royal ».
Ma réponse :
Voici ce texte et mon analyse. Lettre du marquis de Saulx-Tavannes adressée au frère Bertin du Rocheret et datée du 9 octobre 1738 :
« J’ay esté fort édifié du grand Duc [ François de Lorraine ] qui est très bon masson et j’aurais reçus icy le prince de Waldeck, le prince Charles de Lorraine et beaucoup de généraux si nous avions ésté le nombre requis. Mais j’en attends un et Milord Grafford qui est icy et moy nous recevrons le prince de Waldeck… ».[2]
« Reçus » signifie, à l’époque, « initiés », comme on dit hélas de nos jours. Le gazetin du 30 décembre 1739 annonce, par exemple, une prochaine « cérémonie de réception » dans la Loge du Roy. On « reçoit » donc dans l’Ordre les candidats à l’initiation, et le marquis regrette de ne pas avoir pu réunir le nombre de maçons voulu afin d’initier [recevoir] le prince Charles de Lorraine. Cet extrait ne prouve donc nullement que Charles de Lorraine était maçon ; il prouve en réalité exactement le contraire !
Page 2 : « la Stricte Observance[3] tenait le haut du pavé et n’avait pas de compte à rendre aux autres obédiences européennes ».
Ma réponse :
Que signifie clairement l’expression selon laquelle ce rite, cette obédience, ce système, cet ordre de la SO « tenait le haut du pavé » ? Aurait-il eu une sorte de prééminence sur les autres systèmes maçonniques autrichiens et allemands ? De quoi s’agit-il en réalité ?
La Stricte Observance germanique est un phénomène qui est né, s’est développé et est mort de 1751 à 1782. Cette obédience a donc duré 31 ans et guère plus. On peut distinguer quatre périodes dans la vie de la SO[4] : citation :
- De 1751 à 1763, en Saxe, où un petit lobby de 20 nobles crée deux loges et un chapitre à l’initiative du baron von Hund ; ce lobby est basé sur le mythe des Templiers ;
- En 1763, le groupe initial se renforce de loges et chapitres créés durant la guerre de Silésie et la guerre de Sept ans. Ses 200 membres sont des nobles appauvris et endettés par les guerres qui espèrent retrouver leur fortune par des « connaissances secrètes » telles l’alchimie ;
- Dès 1772 commence l’aristocratique période des « princes ». L’obédience atteint 2000 membres. Le fondateur von Hund est écarté et meurt en 1776. Le système pratique une sorte de mysticisme crypto-catholique, avec le duc de Brunswick. L’obédience s’étend à Strasbourg et à Lyon.
- De 1776 à 1782, les princes allemands, suédois et danois se querellent vivement. Grand mélange de politique et de « connaissances secrètes ». Les hauts aristocrates qui composent l’obédience se nomment : Frédéric Guillaume II de Prusse, Brunswick qui est le beau-frère de Frédéric II, Charles de Sudermanie, frère du roi de Suède et futur roi, Charles de Hesse qui est l’oncle du roi de Danemark. [ Nous y retrouverons Albrecht Kasimir von Sachsen-Teschen, i.o. Eques a Tribus Stellis Coronatis, constructeur du château de Laeken et gouverneur des Pays-Bas autrichiens à la suite de Charles de Lorraine ]. J.B.Willermoz est fier de côtoyer ces gens-là ; il incorpore des éléments propres à la SO dans son système rectifié, nous y reviendrons.
- En 1782, au Convent de Wilhelmsbad, tout se termine ; Brunswick réunit ce beau monde et leur pose des questions fondamentales ; il reçoit des réponses vagues ; à vrai dire, cela n’intéresse plus grand ‘monde.
- La SO meurt donc à Wilhelmsbad en tant que formation structurée. Elle disparaît, sauf au Danemark, et France et en Suisse.
- La fiction de la transmission templière a disparu, mais elle survit, mutatis mutandis, sous le nom du Rite Ecossais Rectifié. La maçonnerie bleue classique n’a presque pas été touchée par ces péripéties. Fin de citation.
Il me paraît donc abusif de prétendre que la SO ait tenu un quelconque « haut du pavé » durant sa très brève et très sélective existence. Mais il est encore plus grave d’écrire, à mon avis, que « la SO prendra une orientation nettement occultiste et mystique avec l’adoption du Rite Ecossais Rectifié ».
Il faut bien reconnaître que cette assertion est fausse, car il s’agit exactement de l’inverse ! C’est le rite de Willermoz, le RER, qui adoptera en partie les rituels de la SO[5]. Les célèbres devises des trois grades vétérotestamentaires – adhuc stat, dirigit obliqua et in silentio et spe fortitudo mea – font partie du patrimoine de la SO, et Willermoz les a « importés » dans le rite qui est sa création à partir d’éléments divers. Ces beaux rituels se pratiquent encore aujourd’hui, tels quels et, pour les puristes, sans la moindre altération depuis le XVIIIe siècle.
Quant à l’affirmation faite par Joël Goffin, selon laquelle « l’Ordre des Chevaliers Teutoniques possédait plus que des affinités avec la Stricte Observance », mon correspondant de 2007, le Professeur Bernhard Demel O.T. m’avait certifié que jamais la moindre connexion n’avait existé entre l’Ordre Teutonique et l’Ordre Maçonnique. Le Père Demel O.T. est l’ancien archiviste de l’Ordre en Autriche, et est mort au début de 2017. Il était docteur en théologie, et, depuis 40 ans, a exercé la direction des archives viennoises de l’Ordre. Il fut fondateur de la Commission Historique Internationale pour l’étude de l’Ordre et participait aux conférences « Ordines militares » de l’université de Torun en Pologne.
C’est en ces respectables qualités qu’il écrit : « Dans sa lettre annonçant son élection [comme Grand Maître de l’Ordre Teutonique] à l’empereur François, le 4 mai 1761, Charles-Alexandre précise que conformément aux statuts et à l’antique tradition, mais non sans tristesse, il restitue la grand-croix de l’Ordre militaire à Marie-Thérèse dont il avait été décoré lors de la première promotion du 7 mars 1758, et également sa Toison d’Or, qu’il avait reçue le 5 avril 1729 [6]».
Les statuts de l’Ordre Teutonique interdisaient en effet au Grand Maître d’appartenir à tout autre ordre que l’Ordre Teutonique, ce qui inclut l’Ordre maçonnique. Considérons les dates : Charles-Alexandre renvoie sa Toison d’Or le 4 mai 1761. Cordier[7] annonce la pseudo-création, aux Pays-Bas autrichiens, par Charles-Alexandre, de la loge maçonnique Saint-Charles le 7 mai 1762. Peut-on imaginer un Grand Maître renier à ce point sa parole et témoigner d’une hypocrisie aussi prononcée que celle-là, à un an d’intervalle ?!
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Le point suivant qui mérite un commentaire précis : « les principaux protagonistes du Parc de Bruxelles ». Mon contradicteur écrit, en substance, que Charles de Lorraine n’est pas le commanditaire direct de l’architecte du Parc, Guimard, et que c’est Georg Adam von Starhemberg qui « était à la manœuvre » dès le début.
Certes, Starhemberg, en vertu de son expérience antérieure en matière d’urbanisme, surtout à Paris, reçut une délégation de pouvoirs de Charles-Alexandre qui savait fort bien ce qu’il voulait pour embellir sa capitale. J’ai écrit ceci, en page 19 de Bruxelles maçonnique :
« Le gouverneur général fut un infatigable bâtisseur ; il collectionnait un grand nombre de plans de toute provenance, et faisait toujours une esquisse personnelle afin de guider les architectes travaillant pour lui ».
Ce n’est pas Jean van Win qui affirme ceci : c’est l’architecte Victor G. Martiny, à la page 44 du catalogue Europalia 87 Österrreich. On peut imaginer ce qu’étaient les esquisses du Français Charles de Lorraine, lui qui nourrissait une passion pour son pays d’origine, la France, et pour la grandeur des créations monumentales dues à Louis XIV. Donc, si par délégation spéciale, Starhemberg « décide » d’élaborer le projet du futur Quartier Royal et du Parc, c’est en osmose et avec la bénédiction de son patron Charles de Lorraine.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de Versailles dans la psychologie du Français Charles de Lorraine L’entrée du château a concrétisé, dans l’espace et dans son plan d’implantation, l’éventail, le trident, la patte d’oie, c’est-à-dire toute la terminologie métaphorique qui sert de plan au Parc de Bruxelles. De plus, on retrouve cette représentation architecturale dans un grand nombre de villes du monde, en Europe comme aux Etats-Unis. Il suffit de laisser sa souris d’écran se promener sur les sites Google Earth dans les différents pays et villes que j’énumère dans mon livre, pour découvrir, avec ravissement, la reproduction universelle de ce véritable archétype de la notion de pouvoir, de rayonnement et d’autorité centralisatrice : la patte d’oie. Ne sommes-nous pas au siècle des Lumières et des despotes dits éclairés ?! Il est très émouvant de voir apparaître sur Google Earth, en pointant sur Versailles et en agrandissant les parvis du château, l’exact dessin du plan du Parc de Bruxelles. Trois allés, en patte d’oie.
G.A. von Starhemberg remplit sa tâche avec compétence et enthousiasme. Il fait appel à Guimard, architecte français installé à Bruxelles depuis 1761, qui se plaça alors sous la direction de l’architecte Faulte ; ce dernier travaille déjà pour Charles de Lorraine. Guimard fait encore appel à Joachim Zinner, jardinier-paysagiste de talent.
On imagine très mal Starhemberg essayant de convaincre tous ces grands et talentueux professionnels d’utiliser des crayonnages « maçonniques », griffonnés par lui, afin d’incorporer, dans le plan du Parc, et dans un quartier éminemment aristocratique, des outils d’ouvrier-maçon. Ces architectes-là ne vont pas, tous, se laisser imposer des « plans maçonniques » par un non-professionnel, fût-il Starhemberg.
Et dans quel but ? Et à destination de qui, du reste, ces illustrations ? A destination des maçons belges ? Starhemberg connaît l’aversion prononcée de l’impératrice pour tout ce qui est franc-maçonnerie. Elle insistera fortement auprès de Albrecht von Sachsen-Teschen pour « qu’il laisse là toute cette franc-maçonnerie ». Mais Starhemberg n’a aucune espèce de connexion avec les loges des Pays-Bas autrichiens. Aucun des collaborateurs autrichiens et francs-maçons de Charles-Alexandre, résidant à Bruxelles, n’est mentionné sur aucun des tableaux de loges « belges » de l’époque, même pas en la très aristocratique Heureuse Rencontre, où l’on ne trouve qu’un Kaunitz, colonel propriétaire d’un régiment de Kaunitz ; rien à voir avec les fonctionnaires autrichiens en poste à Bruxelles.
On ne se « visite » ni ne se fréquente entre maçons des deux nations, et nous possédons, émises sans nuances par Charles de Lorraine, des appréciations très négatives déclarées au cardinal archevêque von Frankenberg, à propos de la franc-maçonnerie. Citons le cardinal : « j’ai cru m’apercevoir à la même occasion que Son Altesse Royale [Charles de Lorraine] pensait de même et traitait les conventicules [maçonniques] avec le même mépris qu’elles méritent [8]». Rappelons une fois encore, car l’argument est capital, que l’impératrice Marie-Thérèse déteste cordialement les francs-maçons, en dépit de l’attachement à la maçonnerie de son mari l’empereur François. Mais l’impératrice ne possède-t-elle pas, disait-on, un niveau d’intelligence nettement supérieur à celui des deux Lorraine…
En résumé, et d’après Xavier Duquenne, qui s’appuie exclusivement sur les travaux célèbres et réputés de Henne et Wauters, de G. Des Marez et P. Saintenoy, plus sur ses propres recherches effectuées dans les Archives Générales du Royaume, plus sur Belgien– Berichte und Weisungen, aux Archives de l’Etat à Vienne, voyons ce qu’il en est réellement des responsabilités effectives dans la conception et l’exécution des travaux du Parc :
« Le fondateur du quartier, au plan politique, fut le prince de Starhemberg. Ce dernier avait un grand prestige. En 1773, il entreprend d’élaborer le projet de rénovation du nouveau quartier. Il désigne son bras-droit, Ange-Charles de Limpens. L’architecte de l’ensemble fut Barnabé Guimard. C’est lui qui présente à Marie-Thérèse le projet de remaniement du Parc [9]; Marie-Thérèse l’approuve en juillet 1775, après en avoir réglé et distribué son financement.
Le quartier appartient au mouvement international du retour au classicisme de l’antiquité romaine, marqué par l’influence française. La configuration est déterminée par la disposition du terrain.
C’est Guimard qui est l’auteur des plans du Parc. Limpens entretient Starhemberg de la « grande difficulté du projet de Guimard ».
Ce dernier se qualifie « d’architecte auteur des plans de la place Royale et du dessin du Parc ».
Les pseudo-relations entre les maçonneries « belge » et viennoise
Il est très utile de développer cet aspect particulier des relations « obédientielles », qui, selon Paul Duchaine, sont, à l’époque considérée, très différentes de ce qu’elles sont au XXe siècle, et a fortiori au XXIe siècle. Méfions-nous donc de nos conceptions d’aujourd’hui lorsque nous examinons nos frères d’il y a à peu près 237 ans. De plus, nous pouvons ici faire confiance au fouilleur d’archives que fut le maçon Duchaine, dès lors qu’il ne s’inspire pas, en l’espèce, de Cordier. Il est important de situer correctement le prince et franc-maçon Starhemberg dans le milieu maçonnique entourant Charles de Lorraine. Car nous allons, de la sorte, réduire son apport « maçonnique » dans la conception du Parc à ce qu’il fut, en réalité. Soit, à mon analyse, et à celle des urbanistes, un apport inexistant car purement imaginaire. Voyons Duchaine :
Page 228 : « il y avait peu de points de contact entre les Loges belges et les Loges viennoises ; les relations étaient rares. Ni les unes, ni les autres ne désiraient sincèrement resserrer les liens très lâches qui les unissaient et nul n’en sentait le besoin ».
Page 234 : le baron von Seckendorf[10] écrit : « Les Loges belges n’ont aucune idée, même vague, de la Maçonnerie autrichienne et de ses tendances […] on nous tient ici soigneusement à l’écart de toute correspondance ».
Page 237 : « Le Grand Orient de Vienne (sic) connaissait bien peu la maçonnerie belge [suit la liste des loges]. Cette liste montre combien l’organisation de la Maçonnerie belge était peu connue à Vienne, et prouve surabondamment que la Grande Loge Nationale autrichienne se désintéressait à peu près complètement des Pays-Bas ».
Page 245 : « La Franc-Maçonnerie, à la fin du XVIIIe siècle, est si éloignée de notre conception actuelle [en 1911]… Les pseudo-maçons, si répandus à cette époque-là, se livraient souvent à des pratiques que l’on ne peut qualifier autrement.
Les circulaires des 18 et 21 mars 1783 de la Grande Loge Provinciale de Francfort et de Wetzlar […] portaient « que les Frères de cette réforme renonçaient à toute spéculation magique, cabalistique, templière et autres folies de la Stricte Observance, pour s’en tenir à la Franc-Maçonnerie dans la pureté de son institution et aux règlements de la Grande Loge d’Angleterre[11] décrétés en 1723 ». Fin de citations.
Joseph II se montrera particulièrement exacerbé par la maçonnerie de son père l’empereur François, car elle autorisait, en son sein, des étranges et dangereuses insertions fantaisistes, suspectées de comploter contre l’Etat.Déjà en 1785, les « événements de France », pays subversif où s’ébat sa sœur Marie-Antoinette, l’inquiètent fortement. Il s’exprimera avec un grand mépris pour l’Ordre, ce qui suscitera une levée de boucliers chez les maçons « belges », sans aucun résultat, hélas. Lisons Joseph II :
« … les sociétés dites de francs-maçons, dont les mystères me sont encore aussi inconnus que j’ai toujours été peu curieux jadis de connaître leurs jongleries… ».
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Revenons aux Pays-Bas autrichiens et à des points de détail, qui méritent une réponse. Commençons par numéroter les pages de l’opus de mon contradicteur afin de nous faciliter le travail.
En sa page 4, Joël Goffin affirme qu’au XVIIIe siècle, « la franc-maçonnerie possédait encore toutes les caractéristiques d’une société secrète ». Cette affirmation constitue un anachronisme de plus, basé sur des références du XIXe siècle, qui se développent à cette époque sur un arrière-fond de conspirateurs, de Carbonari, et de maçons tombés dans le travers de la politique, fomentée dans certaines loges, après l’Empire. Rien de tout cela n’existe encore dans nos régions sous Charles de Lorraine ; les bulles papales ne sont pas enregistrées, et Joseph II ne prend vraiment peur qu’après l’apparition chez lui des Illuminés de Bavière, qui font une incursion tardive et éphémère dans les régions germaniques.
En sa note 10 de la page 4, mon érudit contradicteur pose la question de savoir « pourquoi, si tout ceci n’est que faribole (soit les signes mystérieux inscrits en plan à destination des aérostiers ou des pigeons volant dans le ciel du Parc de Bruxelles) des francs-maçons ont collaboré au guide très fouillé Itinéraire de la Franc-maçonnerie à Bruxelles, Société Royale de Géographie, éd. Parcours maçonnique, Bruxelles, 2000. Avec quelques réserves d’usage, le parcours évoque la thèse et le tracé de Saint-Hilaire (pp.51-52) », écrit-il.
Je répondrai à cette question en donnant deux arguments :
- Cet opuscule fut édité en 2000 selon son numéro de dépôt légal. Les auteurs ne connaissaient pas encore l’analyse détaillée exposée dans mon Bruxelles maçonnique, cet ouvrage n’ayant paru qu’en 2007. Ils connaissaient en revanche les thèses de Paul de Saint-Hilaire, et les ont mentionnées et commentées « avec, dirait Françoise Sagan, un certain sourire ». Et bien des restrictions…
- La collection Hommes et Paysages de la Société Royale Belge de Géographie est éditée au Campus de la plaine, ULB, Bd du Triomphe à 1050 Bruxelles. L’inspiration est donc évidente. Parmi ses excellents collaborateurs scientifiques, il en est un qui fut autrefois un Orateur distingué de la loge Les Amis Philanthropes. Il est géographe-urbaniste et professeur à l’ULB.
Mon contradicteur Joël Goffin en déduit que la « loge des Amis Philanthropes semble assumer l’interprétation maçonnique du Parc Royal ». Et de conclure avec satisfaction : « il s’agit donc d’une revendication de premier ordre ! ». Voyons donc cela de plus près, et faisons notre opinion.
La page 7 de cet opuscule reprend, une fois de plus, la seule et unique source d’un bobard national : « Le gouverneur général Charles de Lorraine (1712-80), beau-frère de l’impératrice, arrivé en Belgique en 1744, fonda quant à lui à Bruxelles, en 1762, la Loge Saint-Charles ». Comme tous les auteurs dits « historiens » de cette période se recopient d’après le seul Cordier, qui fut durement disqualifié par le frère Jottrand, laissons-leur donc ce péché récurrent. Et continuons…
Page 53, le texte s’abreuve à une meilleure source. Le voici : « l’esthétique du Parc est celle des jardins néoclassiques à la française, avec un plan fondé sur des symétries parfaites, aplanissant les dénivellations, ou, à défaut, les masquant par des fourrés (« les bas-fonds »). Il est l’œuvre d’un jardinier de la Cour, Joachim Zinner, et de Guimard. […]. Trois allées partent d’un rond-point, une centrale et deux obliques, formant une patte d’oie ».
C’est parfait cette fois ; pas de compas, pas d’outils ni d’instruments (la nuance est d’importance) d’ouvriers-maçons, excellent.
Néanmoins, regrettable concession à l’air du temps chez ces scientifiques, ils reproduisent 9 outils et/ou instruments de la construction tels que les voit et que les imagine Saint-Hilaire, et commentent comme ceci :
« Le plan du Parc répond parfaitement aux principes rationalistes de l’architecture des jardins royaux à la française, principes certainement partagés par les francs-maçons qui gravitaient autour de Charles de Lorraine[12]. Il convient cependant d’être extrêmement prudent quant aux allusions au symbolisme maçonnique et aux significations ésotériques qu’y trouve Saint-Hilaire ». Il eût mieux valu que les scientifiques de l’ULB ne les publiassent point, afin d’assumer courageusement leur « extrême prudence »…
Et cette excellente publication clôture sa bibliographie par ceci : « et pour les férus d’ésotérisme, mais sans garantie de critique historique, de Saint-Hilaire P. (1978), Bruxelles, Mille ans de mystères, éd. Rossel.
Alors, où se trouve donc la revendication de premier ordre alléguée par Joël Goffin en sa note 10 ? J’ai la faiblesse, au contraire, et malgré la présence d’un énigmatique et peu compréhensible « souvenir philatélique », de voir dans la brochure de la Société Royale de Géographie, exactement l’inverse, c’est-à-dire une confirmation supplémentaire de mes thèses.
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Passons maintenant aux « specifics » en accélérant l’allure, car il s’agit, à mon point de vue, d’éléments accessoires.
En page 4, Joël Goffin s’en prend à mon opinion selon laquelle « sur un tableau de loge, les outils[13] vont toujours par paire » et conteste cette vision. En réalité, j’ai écrit que « leur disposition (des symboles du tableau de loge de la fin du XVIIIe siècle) reflète le rapport dialectique des composants, les uns par rapport aux autres, les objets étant toujours présentés par paire. Plus ma foot note n°1 : « d’autres, plus rares au grade d’apprenti, constituant des triades ».
A fortiori, certains auteurs prétendent que l’équerre et le compas séparés ne sont pas des symboles, et qu’ils n’acquièrent leur symbolisme que dans leur association. C’est bien là mon avis.
Mais voilà : Joël Goffin semble privilégier, une fois encore, pour illustrer ses idées relatives à la fin du XVIIIe siècle, les commentateurs « ésotéristes » du XIXe ou du XXe siècle, tels : Jules Boucher, Edouard Plantagenet, Oswald Wirth, Ragon. Ne perdons pas de temps avec ce nouvel anachronisme en constatant qu’un autre rédacteur contemporain d’ouvrages, précisant lui aussi ce qu’il y a lieu de penser à propos des symboles, notamment au RER, écrit en page 100 de son « La Formation maçonnique[14] » :
« Dans la maçonnerie moderne, le compas est toujours associé à l’équerre ».
A vrai dire, qui ne s’en serait douté ?!
Mais Joël Goffin de produire, à l’appui de sa thèse, une figure qui n’est même pas maçonnique, puisque, si les deux instruments y sont bien dissociés, le soleil est représenté au septentrion et la lune au midi !
Bref : la maçonnerie offre de nombreuses propositions sur lesquelles le cherchant est invité à réfléchir, et à se faire sa propre opinion, sans cesse révisable. Un maçon en recherche ne se sert pas d’un petit livre rouge tel celui de Mao, mais d’une quantité de livres de toutes couleurs, qu’il étudie d’un œil critique…
Je ne m’étendrai pas plus loin sur une série d’affirmations contenues dans ce texte. Ce ne sont que des points de détail, qui encombrent la pensée de Joël Goffin, ce qui est regrettable lorsqu’on connaît la qualité de ses autres travaux. Mais il donne l’impression d’adopter, en cette matière, un comportement psycho-rigide qui consiste à donner UNE réponse à chacune des questions, et UNE SEULE : la bonne !!
Il m’apostrophe parce que j’ai écrit que l’angle de la patte d’oie du Parc est très voisin de 50 degrés. Et de me reprocher vivement mon « imprécision » ! Il écrit : « l’angle du compas du Parc s’ouvre à 45 degrés, car il s’agit de l’angle du compas lors d’une tenue maçonnique ». Il ne précise pas de quel type doit être cette cérémonie ; je suppose donc qu’il s’agit de toute tenue maçonnique se déroulant sous le symbole du compas et de l’équerre assemblés. Car il en est bien d’autres, et le RER n’est plus maçonnique dans ses hauts grades. Il suffit d’ailleurs d’avoir recours à l’iconographie maçonnique[15], notamment dans un recueil iconographique bien connu des maçons belges : Les Trésors du Temple : Musée belge de la franc-maçonnerie, éditions Mercator, Bruxelles, 2006.
J’ai mesuré les angles de 17 couples équerre-compas, dessin universel symbolisant parfaitement l’esprit de la Maçonnerie, et qui incarne clairement une dialectique susceptible d’être déclinée à l’infini : la terre et le ciel, la matière et l’esprit, l’intellect et l’émotif, le cercle et le carré, dont proviennent finalement, si l’on en croit Berteaux, la rose et la croix ! Le résultat de ces mesures est le suivant :
Page : Objet : Date : +/- degrés :
14 médaille 1835 55
17 bijou loge 1820 52
20 bijou loge début 19° siècle 54
20 bijou loge 1855 55
20 bijou loge fin 19° siècle 74
26 stalle officiers 1910 43
27 stalles occident[16] 1910 38 + 64
38 tablier fin 19e siècle 75
42 cordon 19e siècle 62
57 tablier début 19e siècle 59
58 tablier fin 18e siècle 41
59 cordon 19e siècle 65
63 tablier début 19e siècle 70
81 assiette 1900 42
122 portrait Verhaegen[17] 1854 45
123 bijou AP 19e siècle 53
Moyenne[18] : 947 : 17 = 55,70
Bref : les 45 degrés de la patte d’oie du Parc, de même que les angles d’environ 50 degrés, et,comme je l’ai écrit, de nombreux autres éventails ou tridents que l’on trouve dans les grandes villes du monde que j’ai citées, résultent, comme en maçonnerie, du goût des concepteurs graphiques chargés de représenter nos symboles. Si l’on charge cinq personnes de disposer harmonieusement une équerre et un compas, on obtient cinq dispositions différentes, selon la conception de l’harmonie que chacun de nous se fait. Il n’existe aucune dogmatique en cette matière. Un psychologue pourrait du reste en tirer des conclusions amusantes devant des constructions fermées ou, au contraire, largement ouvertes.…
Joël Goffin m’écrit que je me suis trompé à cause de mon « imprécision » et qu’il m’amènera à le regretter. Je cite :
>>> Je comprends qu’il peut être difficile pour toi, voire douloureux,
>>> d’envisager que tu t’es trompé en niant tout aspect maçonnique au Parc.
Je n’envisage nullement. Surmontant ma douleur, je récuse formellement cette théorie intenable pour nombre de raisons exposées ci-dessus, et constate, une fois encore, le besoin des maçons dits « adogmatiques » de trouver, dans la pratique maçonnique, des « standards » univoques, ce qui semble une habitude créée par certains maîtres d’école rabiques du XIXe siècle. Et je m’étonne vraiment que, chez des maçons, dans des loges, dans des obédiences qui ont supprimé les fondamentaux dits « religieux » de la franc-maçonnerie traditionnelle, on trouve tant d’adeptes férus d’histoires « merveilleuses et mystérieuses et profondément irrationnelles ». Il est à se demander si ce n’est pas cela, la Parole de substitution évoquée dans La Voie Substituée de Baylot…
Deux seul petits exemples parmi une centaine à réfuter facilement : Joël Goffin montre, en illustration annexe, un plans « véritable » de la loge, publié dans « L’Ordre des francs-maçons trahi » en 1745, dont tout maçonnologue sait qu’il est, en réalité, le plan fictif et erroné, et en aucun cas le « véritable ». Le soleil s’y trouve du reste, ici aussi, représenté au septentrion !
L’autre exemple de cette méthode superficielle et imaginative est, je cite Joël Goffin : « le monument sculpté par Godecharle et dédié aux arts et aux sciences. L’angelot de droite, portant la coiffe, tient en main un compas posé sur une équerre […] ; tout ceci représenterait la sagesse et l’universalité de la Connaissance et de la Fraternité. Son compère tient à ses pieds un maillet et ce qui ressemble à un ciseau de tailleur de pierre, les deux outils de l’Apprenti. […]. Son Maître le regarde avec bienveillance ». Du pur Saint-Hilaire, y compris les conditionnels subtilement allusifs à « des choses cachées et mystérieuses »…
Christophe Loir, en ses grades professionnels et qualités, a donné la véritable explication de ce charmant groupe. Il écrit : « Des enfants personnifient les Arts et les Sciences. Ces deux groupes, sculptés par Gilles Lambert Godecharle, représentent d’un côté, le Commerce et la Navigation, et de l’Autre, les Arts et les Sciences […]
Je connais plusieurs auteurs qui défendent bec et ongles les théories issues de leur pitoyable Cordier, qui fut tellement critiqué par le cartésien Gustave Jottrand, membre pourtant, comme lui, de la même (et seule) obédience. Il existe des pages et des pages de littérature de ce type, défendant aujourd’hui la qualité « maçonnique » de Charles de Lorraine, ce ventripotent guindailleur, coureur de jupons, militaire lamentable et toujours battu, et chasseur-massacreur d’une écœurante et inutile cruauté. Le père Léopold Mozart témoigne amèrement de l’affligeante inculture de ce prince « qui n’a pas un sou », ne fait que goinfrer et bâfrer, et fait « poireauter » les Mozart des semaines durant[19].
Pour en terminer : Joël Goffin écrit que « La construction du Parc de Bruxelles s’apparente à un investissement de l’espace public par un franc-maçon de haut rang, en l’occurrence le prince de Starhemberg ».
Ceci est une conclusion qui dérive d’un raisonnement basé sur divers pré-requis totalement indémontrables : l’appartenance maçonnique du prince Charles-Alexandre de Lorraine, qui aurait laissé faire ; le besoin éprouvé par Starhemberg de tracer un parc dévoilant des symboles qu’il avait juré de ne « jamais tracer ni buriner », malgré les très fermes réticences de son impératrice ; ensuite, sa bien improbable capacité à circonvenir trois professionnels profanes de haut niveau, afin qu’ils adoptent et réalisent « en dur », ses phantasmes maçonniques, si peu populaires aux yeux du gouvernement autrichien et surtout de Marie-Thérèse.
Qu’il me soit enfin permis d’adapter l’exergue de Joël Goffin et de l’énoncer à mon tour comme suit : ce qui est vrai se doit d’occulter ce qui est faux.
Ou encore, avec le grand Goya : le sommeil de la raison engendre des monstres.
Ou encore, avec la présentation de l’ouvrage monumental de plus de 1.000 pages composé par René Le Forestier : « La Franc-Maçonnerie templière et occultiste aux dix-huitième et dix-neuvième siècles », présentation écrite par Jean Baylot : « on ne saurait dire, en quelques lignes, l’importance d’un livre qui exige une recension exhaustive et copieuse. Il vient à un bon moment. A partir de quelques publications où la fable, le rêve, l’érudition discursive dispersée ou arbitraire, parfois l’intransigeance, ont tellement de place que la valeur historique en est contestable, on voudrait substituer à l’ésotérisme maçonnique unificateur au sommet, un exotérisme ecclésial, formaliste, dogmatique, dispersant et cloisonnant plutôt qu’il ne rassemblerait. Les tenants de ces chimères trouveront ici des raisons sûres, que l’on peut dire historiquement scientifiques, d’y renoncer. Nous possédions, jusqu’ici, un squelette de l’histoire maçonnique. L’intuition et la déduction suppléaient aux pièces manquantes. Nous avons désormais une réalité historique charnue, sûre et combien riche ».
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Bibliographie
Alain Bernheim : La Stricte Observance, Ordo ab Chao, Acta Macionica n°8, 2008, et Internet.
Pierre Noël : De la Stricte Observance au Rite Ecossais Rectifié, Acta Macionica n°5, 2005, et Internet.
René Le Forestier : La Franc-Maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, éd. Nauwelaerts, Louvain, 1970. (1.000 pages).
Europalia 87 Österreich, Charles-Alexandre de Lorraine, Gouverneur Général des Pays-Bas autrichiens, Exposition Générale de Banque, Bruxelles, 1987.
Europalia 87 Österreich, Charles-Alexandre de Lorraine, l’homme, le maréchal, le grand maître, Exposition Générale de Banque, Bruxelles, 1987.
Adolphe Cordier : Histoire de l’Ordre maçonnique en Belgique, éd. Chevalier, Mons, 1854.
Hervé Hasquin : Joseph II, catholique anticlérical et réformateur impatient, éd. Racine, Bruxelles, 2007.
Bertrand Van der Schelden : La Franc-Maçonnerie belge sous le régime autrichien, 1721-1794, éd. Librairie Universitaire, Louvain, 1923.
Société Royale Belge de Géographie : Itinéraire de la Franc-maçonnerie à Bruxelles, éd. les auteurs, Bruxelles, 2000.
Xavier Duquenne : Le Parc de Bruxelles, éd. CFC-Editions, Bruxelles, 1993. Avant-propos de Roland Mortier, de l’Académie Royale de Langue et de Littérature française et membre de l’Institut de France.
Paul Duchaine : La Franc-Maçonnerie belge au XVIIIe siècle, éd. Pierre Van Fleteren,
Bruxelles, 1911. Préface du comte Goblet d’Alviella.
Lucien Perey : Charles de Lorraine et la cour de Bruxelles, éd. Calmann-Lévy, Paris, 1903.
Christophe Loir : Bruxelles néoclassique : mutation d’un espace urbain, 1775-1840, éd. CFC-éditions, Bruxelles, 2009. Présentation « La Pensée et les Hommes », nos 62-63, 2007.
Georges Renoy : Bruxelles vécu : Quartier Royal, éd. Rossel, Bruxelles, 1980. Préface Prof. V.G. Martiny, membre de l’Académie Royale belge.
Jean van Win : Bruxelles maçonnique, faux mystères, vrais symboles, éd. Télélivre, Bruxelles, 2012. Préface du Bourgmestre de Bruxelles.
Fons de Haas et Irène Smets : Mozart en Belgique : un enfant prodige traverse les Pays-Bas méridionaux 1763-1766, éd. Fonds Mercator Mozarteum Belgicum, Anvers, 1990.
Christian Guigue : La Formation maçonnique, éd. Guigue, Mons-en-Baroeul, 1993.
Jean van Win / décembre 2017
[1] Je possède une copie anastatique d’un exemplaire de l’Histoire de l’Ordre Maçonnique de Cordier qui a appartenu à Gustave Jottrand et qui fut impitoyablement annoté par ce dernier. Jottrand était docteur en droit et en sciences politiques et administratives de l’ULB ; avocat à Bruxelles ; VM des Amis Philanthropes ; membre de la loge VAUPRE ; co-fondateur et secrétaire de la Libre Pensée ; administrateur de l’ULB ; président de la Ligue de l’Enseignement. Un pur, un dur. Il ne pardonne rien à Cordier.
[2] Bibl. Epernay, ms.125, f° 711.
[3] Joël Goffin écrit comme tant d’autres : « Stricte Observance Templière », ce qui est moderne, inusité à l’époque et donc erroné comme appellation. Il faut consulter le site Internet : Directoire National Rectifié de France-Grand Directoire des Gaules, pour se familiariser avec ce qui n’est nullement un faux templarisme allemand.
[4] Condensé d’une note de Pierre Noël, non datée. Il n’écrit jamais « templière »et sait très bien de quoi il parle.
[5] « De la Stricte Observance au Rite Ecossais Rectifié », Pierre Noël, Acta Macionica n°5, 2005, pp. 99-150. Voir aussi sur Internet la Stricte Observance-Ordo ab Chao par Alain Bernheim, qui lui aussi est définitif sur cette fausse attribution templière.
[6] In : « Charles Alexandre de Lorraine : l’homme, le maréchal, le grand maître », catalogue Europalia 87 Österreich.
[7] Faut-il rappeler que Cordier est la seule et unique source de la fable de Charles de Lorraine franc-maçon, recopiée par nombre d’auteurs, de pseudo-historiens et de fabricants de dictionnaires peu scrupuleux.
[8] Duchaîne, op.cit. p. 51.
[9] Jamais elle n’aurait approuvé un plan du Parc « maçonnique ».
[10] Chargé de l’application des édits de Joseph II aux Pays-Bas autrichiens ; membre de la S.O. à Vienne et à Prague ; aide de camp de Saxe Teschen ; président du Comité chargé de réorganiser la maçonnerie belge ; sa proposition est rejetée par les Belges en 1787 ; son rôle se termine en 1789 lors du départ précipité de Saxe Teschen vers l’Autriche, lors de la Révolte des Belges contre l’autocratisme de Joseph II.
[11] Ne deviendra Grande Loge Unie d’Angleterre qu’en 1813, par l’union des grandes loges des Anciens et des Modernes, face au péril napoléonien.
[12] Ceci est probablement une allusion prudente à Starhemberg.
[13] Je pense aussi, pour compliquer les choses, que les outils ne concernent que l’apprenti (le ciseau, le maillet et, si on veut, la truelle), tandis que les instruments ( compas, règle, niveau, équerre, perpendiculaire etc.) concernent le compagnon, qui se doit de vérifier l’ouvrage. Le levier fut ajouté plus tard, hélas.
[14] La Formation maçonnique, Christian Guigue, éd. Guigue, 2003. Cet auteur fait un grand commerce des rituels rectifiés ; il donne, lui aussi, LA façon de comprendre les symboles.
[15] L’iconographie des siècles écoulés de la maçonnerie nous apprend peut-être beaucoup plus que des textes, parfois trafiqués et peu fiables.
[16] Le comble ! 2 positions contradictoires du compas à l’occident, dans un même temple.
[17] Le seul à 45 degrés, mais accouplé à une équerre tout à fait hors normes.
[18] Pour autant que cela ait un sens, si ce n’est celui de démontrer l’inanité de la théorie du 45 degrés…
[19] Lettre de Léopold Mozart du 17 octobre 1763 à son propriétaire et ami Hagenauer lors de la traversée de la Belgique par sa famille. Correspondance de Mozart et Mozart en Belgique, op.cit., pages 94 à 97.