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BORIS CYRULNIK ET L’APRES CONFINEMENT

Emission de France Inter LE TÉLÉPHONE SONNE du Dimanche 26 avril 2020 par Claire Servajean

Entretien avec Boris Cyrulnik (46 minutes)

L’après confinement selon Boris Cyrulnik : « on aura le choix entre vivre mieux ou subir une dictature »

Un grand témoin est avec nous : le neuropsychiatre Boris Cyrulnik : il nous dira, lui qui est tellement attaché au concept de résilience si le contexte actuel s’y prête et à quelles conditions. On parlera notamment de la façon dont on aborde les choses aux différents âges de la vie, pour les enfants, pour les plus âgés, les plus fragiles. 

Quel regard porte-t-il sur cette pandémie, et ce qu’elle représente pour les soignants, pour les malades, pour leur famille ? Quelles sont les conséquences psychologiques de ce confinement ?

Le dernier livre de Boris Cyrulnik est « La nuit, j’écrirai des soleils » (éditions Odile Jacob)

Extraits de l’entretien

CLAIRE SERVAJEAN : Ce confinement n’est absolument pas naturel. Iriez-vous jusqu’à dire que le confinement est une agression psychologique ? 

BORIS CYRULNIK : « C’est une forme d’agression psychologique, et neurologique. On n’est pas fait pour vivre seul. On peut parfois s’isoler de la société, et se reposer quand on a été trop stimulé. Mais ce n’est pas le confinement. 

Se confiner, c’est être enfermé, prisonnier… Or, quand on isole quelqu’un sensoriellement alors qu’il ne le souhaite pas, cela restreint la stimulation de son cerveau. Si cela dure  longtemps cela provoque des angoisses et des décompensations psychologiques. Trop longtemps, le cerveau s’altère. »

Y a-t-il clairement des modifications dans notre cerveau liées au confinement 

BC : « S’il n’y a pas « d’autre », le cerveau s’éteint. On le voit sur les photographies en neuro-imagerie maintenant. 

Lorsqu’on est confinés à plusieurs dans un tout petit espace, au contraire, il y a une hyper stimulation et on n’arrive pas à traiter toutes les informations. Le rythme naturel se casse complètement. Dans les deux cas, trop seul ou trop nombreux dans un appartement trop petit, on n’est pas bien. »

Il est donc normal que le confinement joue sur les comportements ? 

BC : « Oui, le comportement est l’expression de nos émotions. Si on n’a pas appris à les contrôler petit, on explose. C’est ce qu’on voit actuellement avec l’augmentation des maltraitances familiales et conjugales. »

Sur le plan psychologique, nous ne sommes pas égaux. Est-ce pour cela que certains vivent mieux que d’autres ce confinement ? 

BC : « On n’est pas égaux, parce que ceux qui ont des grands logements souffrent moins que ceux qui ont des petits logements.

Mais surtout avant le confinement, certains parmi nous avaient acquis des facteurs de protection : une famille stable, sécurisante, une bonne maîtrise du langage, un diplôme qui leur permettait d’avoir un métier correct, ce qui explique un appartement assez grand… Donc ceux-là souffrent peu. Et quand le confinement sera terminé, ils reprendront un bon développement. C’est la définition de la résilience. 

Mais à l’opposé, ceux qui ont acquis des facteurs de vulnérabilité avant le confinement (famille maltraitante, maladies répétées, précarité sociale, absence de diplômes mauvais maniement de la parole, petits métiers instables donc de petits logements… ), vont souffrir du confinement. Une fois qu’il sera levé, le traumatisme supplémentaire vécu fera qu’ils auront du mal à déclencher un processus de résilience. »

Les enfants 

Les enfants s’adaptent-il mieux au confinement ? 

BC : « Oui, ils sont faciles à blesser, mais aussi faciles à ‘réparer’. Le bouillonnement des neurones est intense à leur âge, et une blessure est vite sécurisée. Même si ce n’est pas toujours facile pour les parents, les enfants ont envie de vivre, ils bougent, et c’est bon signe. A cette occasion, les petits vont redécouvrir le plaisir d’aller à l’école, et de retrouver les copains. »

Une telle expérience laissera-t-elle des traces chez les enfants ? 

BC : « Les enfants qui auront des traces cérébrales seront ceux qui auront été maltraités pendant l’isolement ou qui auront été isolés trop longtemps.

Mais la mémoire, c’est autre chose. Les souvenirs conscients dépendent des souvenirs collectifs. Si on ne leur parle pas de cet évènement, beaucoup d’entre eux vont l’oublier. Mais si on leur en parle, ils mettront en mémoire ce qu’on leur aura dit du confinement : s’il leur a été présenté comme une angoisse terrifiante, ils garderont en mémoire cette terreur.

La seule solution, c’est de leur dire qu’il y a un danger, mais aussi qu’on sait comment faire pour le surmonter – le respect des gestes barrières. Si on donne un programme au enfants, ils surmonteront l’épreuve. »

Les héros… et les autres

Qu’est ce qui fait que dans des crises comme celle que nous vivons aujourd’hui, certains font preuve d’altruisme et d’autres d’égoïsme ? 

BC : « Dans ce genre de période, il y a toujours des personnes qui volent au secours des personnes blessées, affamées. Mais il y a toujours une minorité de gens qui profitent pour exploiter les malheureux. C’était vrai pour la guerre de 1940, mais c’est vrai aussi pour les petits événements de la vie quotidienne. 

Il y a quelques années l’autoroute Lyon-Marseille a été bloquée par la neige. On parlait des « naufragés de l’autoroute ». Beaucoup de personnes sont arrivées avec des pelles, et des vêtements pour aider les gens qui étaient bloqués alors que d’autres sont arrivées pour vendre des bouteilles d’eau à un prix exorbitant. »

A.S.: