Le Palais
Quand j’étais Roi, et Maçon – un maître prouvé et habile,
Je me dégageai un emplacement pour élever un Palais,
Tel qu’un Roi se doit de construire.
Je décidai, et fis creuser selon mes propres instructions.
Et juste là, au dessous du limon, j’atteignis
Les restes d’un Palais que jadis
Tel un Roi, un autre avait fait bâtir.
Il n’avait aucune valeur dans la façon,
Et aucune intelligence dans le Plan.
Cà et là, ses fondations ruinées couraient au hasard :
Maçonnerie grossière, maladroite.
Cependant, gravé sur chaque pierre on lisait :
» Après moi viendra un autre Bâtisseur ;
Dites-lui qu’un jour, j’ai su, moi aussi ! »
M’en servant rapidement pour mes propres tranchées,
Où mes fondations, bien conçues – elles ! s’élevaient,
J’ai placé ses pierres taillées et ses pierres d’angle,
Les retaillant et les ajustant à ma façon.
De ses plus beaux marbres j’ai fait moudre de la chaux
Que j’ai brûlée, éteinte, puis étendue.
Et j’ai pris ou délaissé, selon mon bon plaisir,
Les cadeaux posthumes de cette humble dépouille.
Pourtant, je n’ai éprouvé ni mépris, ni gloire,
Et comme nous les arrachions et les dispersions,
J’ai lu dans ces fondations rasées,
Au fond du cœur et de l’âme de leur bâtisseur.
Pareillement, ( en son temps ) il s’était élevé
Et avait plaidé ( et défendu sa cause ).
Pareillement j’ai compris
La forme du rêve qu’il avait poursuivi,
En face de l’œuvre qu’il avait réalisée.
Quand j’étais Roi, et Maçon
Dans le plein zénith de ma vanité,
Ils m’envoyèrent une Parole du fond des ténèbres.
A voix basse, et me prenant à part
Ils m’ont dit : La fin ultime des choses t’est interdite.
Ils m’ont dit : Tu as maintenant joué tout ton rôle.
Et ton Palais deviendra comme celui de l’autre,
Des décombres dont un roi à son tour, usera pour bâtir.
J’ai dis à mes ouvriers de quitter mes tranchées,
Mes carrières, et mes quais, et ( de laisser là )
Leurs ciseaux ( qui travaillaient la pierre ).
Tout mon ouvrage, je l’ai abandonné et confié au destin
De ces années qui n’ont plus foi ( en l’avenir ) ;
Seulement, j’ai gravé sur les madriers,
Seulement, j’ai gravé sur la pierre :
» Après moi viendra un autre Bâtisseur ;
Dites-lui qu’un jour j’ai su, moi aussi ! « .
D’après R.K. – Traduction M.R.
The Palace ( 1902 )
When I was a King and a Mason – a Mason proved and skilled –
I cleared me ground for a Palace such as a King should build.
I decreed, and dug down to my levels.
Presently, under the silt, I came on the wreck of a Palace
such as a king had built.
There was no worth in the fashion, there was no wit in the plan.
Hither and thither, aimless, the ruined footings ran,
Masonry brute, mishandled, but carven on every stone :
» After me cometh a builder. Tell him, I too have known. «
Swift to my use in my trenches,
Where my well-planned ground-works grew,
I tumbled his quoins and his ashlars,
And cut and reset them anew.
Lime I milled of his marbles ; burned it,
Slacked it, and spread,
Taking and leaving at pleasure the gifts of the humble dead.
Yet I despised not nor gloried ; yet, as we wrenched them apart
I read in the razed foundations
The heart of that builder’s heart.
As he has risen and pleaded, so did I understand
The form of the dream he had followed
In the face of the thing he had planned.
When I was King, and Mason – in the open noon of my pride,
They sent me a word from the darkness.
They whispered and called me aside.
They said : » The end is forbidden » ;
They said : » The use is fulfilled. This Palace shall stand as that other’s,
The spoil of a King who shall build. »
I called my men from my trenches, my quarries,
My wharves, and my sheers.
All I had wrought I abandoned to the faith of the faithless years.
Only I cut on the timber – only I carved on the stone :
» After me cometh a Builder. Tell him, I too have known. «
Rudyard Kipling