L’universalité spirituelle de ses origines a-t-elle cédé la place à un simple outil d’évolution de carrière ?
Les avis :
Alain Bauer – Ancien Grand Maître du Grand Orient de France
Franc-maçonnerie et réseau de contacts ? Une erreur sémantique… Le réseau de contacts, ou Networking, est avant tout un réseau en boucle fermée. Vous vous y retrouvez sans choisir. Il est constitué en fonction des affinités scolaires ou universitaires. L’entrée dans la Franc-Maçonnerie a une nature différente. Cela demande un effort personnel pour entrer dans un magasin et fonctionne exactement à l’opposé d’une secte. Il est difficile d’entrer et facile d’en sortir. Il existe des exceptions rares et très répréhensibles ; elle ne lance pas de réseaux serrés pour recruter ses membres. Certains sont invités à nous rejoindre, d’autres font ces efforts de manière très personnelle. Tout le monde est soumis au même parcours initiatique, qui n’a pas grand chose à voir avec un concours de circonstances ou une simple adhésion moyennant paiement d’une cotisation.
L’opportunité d’une franc-maçonnerie véritablement régulière – qui s’appuie sur les valeurs de ses fondateurs (Newton, Desagulliers, Roettier de Montaleau…) – est d’imposer une voie lente, une véritable voie herméneutique, qui éveille les esprits et libère les consciences. Son rituel n’est pas une liturgie. Il n’y a pas de prêtre intercesseur et la relation avec le Créateur naît d’un choix individuel, qui n’est pas discuté car il reste du domaine personnel. Certains en font une règle absolue, d’autres comme le Grand Orient de France le considèrent comme un choix intime. Le drame, c’est aussi accueillir les frères et sœurs qui souhaitent en profiter. Le plus souvent, au travers d’associations fraternelles, profanes, parfois très élitistes, qui s’écartent des valeurs affirmées par les fondateurs et la grande majorité des adhérents. De ce point de vue, le réseau fraternel est clairement un réseau comme les autres. Ils pourraient parfaitement vivre et se développer sans le souci d’appartenir à un ordre initiatique, symbolique et progressiste.
La franc-maçonnerie est avant tout victime d’elle-même, de sa trop grande tolérance à l’égard de structures parallèles et, souvent, prédatrices. Il a aussi été victime de sa proximité avec le pouvoir qui a tant contribué à le créer dans de nombreux pays occidentaux et africains. Souvent refuge d’opposants et de défenseurs des droits de l’homme, certaines obédiences n’ont pas soutenu l’entrée de certains d’entre eux dans les gouvernements. Elle en paya le prix, venant même aux États-Unis proclamer sa totale imperméable aux affaires publiques, où elle commença à mourir lentement de vieillesse, faute de débats, et se contentant d’actes de charité honorables, mais dénués de toute pédagogie. … des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Mais le risque est toujours présent. Comme dans l’Église, il y a toujours plus de croyants que de pratiquants. Et ainsi, la menace de devenir un « réseaucomme les autres » est latente. Le charme de la Franc-Maçonnerie réside dans la construction d’un équilibre subtil entre action initiatique intime et libératrice et engagement social et citoyen. Par ailleurs, il faut que les obédiences qui regroupent librement les loges créées selon le beau mot d’ordre du franc-maçon Jean Mourgues, pour « réguler le chaos », décident de réaffirmer les valeurs essentielles, de réduire et de contingence la place du fraternel, et d’affirmer l’universel. message d’initiation. Certains tentent, d’autres courent après une régularité illusoire, d’un « Triple A » maçonnique fourni de l’étranger comme preuve de conformité, loin d’être un gage de vitalité. Le jour où la Franc-maçonnerie deviendra « en réseau comme les autres », elle sera confrontée à la lecture définitive de sa nécrologie.
Roger Dachez – Président de l’Institut maçonnique de France
Je voudrais d’abord répondre à une question un peu différente : « Depuis quand la franc-maçonnerie est-elle considérée comme un réseau de contacts, du networking ?
Au XVIIIe siècle, son « siècle d’or », aussi bien en Grande-Bretagne où elle voit le jour qu’en France d’où elle s’étend à toute l’Europe, elle n’est pas perçue comme un réseau. C’était avant tout un lieu transversal fréquenté par des hommes issus de différents milieux sociaux. A cette époque, la Franc-maçonnerie, pourrait-on dire, participait à un réseau, mais c’est ce que les historiens appellent aujourd’hui « Réseaux Sociaux » : des cadres non institutionnels où les idées s’échangeaient librement, ou où les points de vue se confrontaient, malgré la différence des différences. conditions. , en évitant soigneusement tout ce qui pourrait générer des frictions (politique, religion). Oui, il y en avait d’autres : cabinets de lecture, salons littéraires, sociétés hédonistes – notamment en Angleterre, envahie par la tendance des « clubs ». Rien de suspect ou d’anormal dans tout cela.
Au XIXe siècle, presque exclusivement en France, la franc-maçonnerie s’est engagée, en partie malgré elle, dans un combat en faveur de la République et contre l’Église. L’historien – non franc-maçon – Pierre Chevalier, fondateur de l’histoire moderne de la franc-maçonnerie en France, avait proposé d’appeler cette franc-maçonnerie après 1850 « l’Église de la République ». C’est très bien vu… mais cela ne constitue pas non plus un réseau. Bien au contraire : c’est au grand jour – peut-être trop – que la franc-maçonnerie va mener cette action, assumant en quelque sorte le rôle et la fonction d’un parti politique à une époque où les partis n’existaient pas !
J’arrive donc à cette conclusion très simple : l’accusation d’escroquerie a été lancée contre la franc-maçonnerie, et très tard, c’est-à-dire très récemment : pas avant les années 1930, avec les premières « affaires » dans lesquelles certains francs-maçons se sont impliqués. En réalité, cela ne fait pas plus de trente ans que cette idée est devenue une obsession des hebdomadaires…
Il faut reconnaître que la vague de scandales financiers qui a commencé à survenir à la fin des années 80, et surtout dans les années 90, bien que essentiellement limitée à l’obéissance, a largement accrédité la suspicion à l’égard de toute la franc-maçonnerie dans le public en général. .
Ou bien, il faut souligner un paradoxe que vivent quotidiennement tous les francs-maçons actuels : ces « francs-maçons voyous » cherchant un obscur réseau dans l’ombre des loges, la plupart ne l’ont jamais trouvé. C’est une vérité simple qui peut s’exprimer en quelques mots : la grande majorité des francs-maçons ne viennent pas en franc-maçonnerie pour y trouver un réseau de contacts. Pour améliorer ses revenus et améliorer sa carrière, il existe des réseaux très bien organisés, comme ceux des anciens élèves des grandes écoles par exemple, mais la franc-maçonnerie ne fonctionne clairement pas selon ce projet.
Alors, le réseau maçonnique est-il une invention de la communication sociale ?
Non, certainement. Tout groupe humain structuré, établissant des relations étroites entre ses membres, peut s’égarer. Cela s’est déjà vu et se verra dans le futur. Mais pourquoi la franc-maçonnerie utilise-t-elle souvent la métaphore familiale et fraternelle ? Les relations entre les membres d’une (vraie) famille ne sont-elles pas purement affectives et intellectuelles ? Il y a une amitié – voire fraternelle – et il y a les principes qu’elle proclame et qui sont indissociables.
Les principes de la Franc-maçonnerie sont la dignité de la personne, l’autonomie du sujet, le respect de la liberté de conscience et la solidarité humaine : et non une complicité douteuse. Et sur ce point, après trois siècles, son discours n’a jamais varié. Pourquoi ne pas l’écouter ?
Ravi