MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard
En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
Chronique 123
1738 – Maçon « libre » ou « franc » maçon
Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a jamais eu de francs-maçons dans les « francs-métiers » de l’ère des cathédrales…
Et si l’on se reporte à l’œuvre d’Étienne Boileau (Règlements sur les Arts et Métiers de Paris, 1248), il y a lieu de constater que s’il existe alors une franchise pour les habitants de Gennevilliers, les maçons et tailleurs de pierre de Paris en sont totalement dépourvus.
Bien que selon la tradition maçonnique, l’Ordre du Temple a possédé à Paris un établissement très important où les artisans bénéficiaient d’un droit de franchise (?), échappant ainsi aux charges du roi et de la cité.
Certes, il est possible de mettre en avant l’ordonnance, postérieure, du roi Louis X le Hutin qui, en 1315, décrète sans rien prouver que « selon le droit de nature, chacun doit être franc ».
Mais être franc signifie en l’occurrence être libre, et non pourvu de franchises…
Pour répondre à la question, il faut donc faire une incursion dans la langue anglo-saxonne. Souvenons-nous qu’en 1737, par exemple et pour remonter dans le passé, les francs-maçons parisiens étaient qualifiés de frey-maçons ou de « frimaçons » alors que leurs frères londoniens se paraient du titre de Freemasons ; ceci après avoir été des Free Masons.
Free signifiant bien en anglais : libre, ce que confirme non seulement tout bon dictionnaire, mais encore dans la langue de Shakespeare tous les textes anciens.
Que lit-on d’ailleurs dans ce manuscrit qui appartient à la classe des Anciens Devoirs anglais, savoir le Manuscrit William Watson, datant du XVIème siècle ?
Que « celui qui sera fait maçon devra affirmer qu’il est libre de naissance, de bonne famille, et libre de tout servage, et qu’il dispose de l’usage de tous ses membres. »
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© Guy Chassagnard – Auteur de :
- La Franc-Maçonnerie en Question (DERVY, 2017),
- –Les Constitutions d’Anderson (1723) et la Maçonnerie disséquée (1730) (DERVY, 2018),
- –Le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie (SEGNAT, 2016).
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(Extrait de mon ouvrage 1717-1747)
La locution qui revient le plus souvent pour désigner la Grande Loge dans les articles de presse, notamment après 1725, est :
« The most ancient and honourable Society of free and accepted Masons »,
Nous avons vu que l’appellation « Society » renvoie à une structure associative fréquente à cette époque, laquelle a manifestement influencé les structures et les pratiques de la Grande Loge.
En même temps, ce rapprochement permet de dégager l’originalité de la construction de Desaguliers : double niveau en haut de la Grande Loge, superstructure d’intégration, et en bas des Loges constituées, cellules de recrutement. C’est au niveau de la Loge que le « décor » de la Loge maçonnique apparaît pour crypter les idées des Lumières. Les rituels de réception déjà élaborés à l’époque, dont le « mystère » et le serment de « garder le secret », semblent bien avoir été un « teaser » efficace.
Cependant les terme initiation et « ordre » ne sont pratiquement jamais employés, sauf de manière significative dans les moqueries, comme celle des Gormagons, ordre pastiche inventé par le Duc de Wharton pour se venger de son éconduite :
L’esprit caustique du Duc de Wharton s’est attaqué par l’ironie à ce qui lui parait le plus discutable dans le paradigme de la Grande Loge : son ancienneté que les Constitutions de 1723 faisait remonter à Adam. Quand on connait l’inimitié que Wharton vouait à Desaguliers, on peut effectivement penser que c’est ce dernier qui a trouvé dans l’ancienneté l’argument destinée à faire entrer la Grande Loge de plain-pied dans la grande tradition britannique.
Mais ce faisant, il préfigure la future grande querelle entre la Grande Loge de Dermott qui se déclare « ancienne » et sa devancière, affublée du sobriquet de « Moderne », alors que cette dernière, s’est toujours présentée comme « Ancienne ». Il n’y a donc pas de querelle des Anciens et des Modernes, mais en fait une querelle entre les Anciens et les « Plus Ancien que moi, tu meurs ! ». L’accusation de « Moderne » proférée par Laurence Dermott à l’encontre de sa rivale est au fond la reconnaissance indirecte qu’elle est bien une création, une « invention », et non le produit d’une supposée longue évolution des loges corporatives. D’ailleurs comme le lecteur a pu le constater, il n’y a jamais de confusion dans la presse de l’époque entre les maçons opératifs et les « maçons libres et acceptés » et cela même quand les deux populations ont l’occasion de se rencontrer :
Newcastle Courant 13 juin 1735
« Dans la soirée de dimanche a été enterré dans le cimetière de St-George’s, Mr. John Beney. Il fut un contremaître auprès de M. Racket le grand tailleur de pierre, et étant un vieux Franc-maçon, son poêle fut supporté par six maîtres de Loge, portant en travers des épaules le ruban vert insigne de leur grade, et plus de 150 Francs-maçons avec leurs tabliers suivaient le cercueil, ainsi que plus de 100 Maçons opératifs, ce qui a constitué le plus grand convoi funéraire qu’on ait vu depuis de nombreuses années. »
Dans l’expression « maçons libres et acceptés », le terme libre est forcément le terme pivot, autant pour ce rappel à l’idéologie des « Lumières » de l’époque que par rapport à la future Grande Loge des Anciens qui utilisera l’expression, « Maçons Anciens et Acceptés », faisant disparaître « libre ».
Le terme « accepté » peut s’entendre alors, dans la terminologie de l’époque, reflétée par les articles de presse reproduits, comme celui de « reçu dans une Loge constituée » et non par référence, comme le veut la théorie de la transition, au système Shaw des gentilhommes « acceptés ». Ce terme rappelle l’échange entre le Maître de Loge et le Premier surveillant qui figurait déjà dans le rituel de 1725, « -Etes-vous Franc-Maçon ? – Mes frères me reconnaissent pour tel » et préfigure notre « Un maçon libre dans une loge libre ».
C’est le terme « libre » qui est connoté dans l’appellation de « Moderne » et qu’on retrouve dans les rituels du GODF de 1786, à l’époque où la victoire des « Lacorniens » du GODF avec le duc de Chartres (« Philippe Egalité ») sur les traditionalistes de la Grande Loge de Clermont donnait tout son sens à l’idée de Liberté dans les derniers jours de l’Ancien Régime.