Voici une très belle contribution de François :
DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE CROYAIS SAVOIR SUR L’ÉGRÉGORE
Que je le confesse en préalable, je n’ai entendu mentionner l’égrégore qu’il y a peu de temps, à peine plus d’un an, lorsque au cours d’une séance d’instruction de la Loge dont je faisais alors partie, un autre Apprenti utilisa ce terme. Je n’osais alors avouer mon ignorance, mais je m’empressai, une fois regagnées mes pénates, de me ruer sur mon Petit Robert lequel, pour une fois, ne répondit pas à mon attente. J’eus beau tenter de lire entre les lignes… le mot recherché ne se trouvait pas là où il aurait dû être, entre « égravoir » et « égrenage » ! Même déception du côté de mon Universel Larousse en cinq volumes.
Qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-être la même chose que moi, c’est à dire taper sur le clavier de mon ordinateur ces six lettres magiques : G – O – O – G – L – E. Il ne fallut que 4 centièmes de seconde pour me voir proposer pas moins de 160 000 résultats. Abondance de biens ne nuit pas, dit la sagesse populaire, mais j’aurais malgré tout préféré une définition en trois lignes. Je n’étais donc pas au bout de mes peines.
Qu’ai-je appris ? Beaucoup et pas grand-chose.
Sur l’origine du mot, la confusion règne. Il aurait, selon certains auteurs, des origines bibliques, dans la littérature apocalyptique hébraïque, en particulier dans le Livre d’Henoch (ou Enoch), mais son passage vers le grec ancien, puis le latin, aurait pâti d’erreurs de traduction. Son sens premier aurait été – et c’est à dessein que j’emploie le conditionnel – « veilleur » ou « éveillé ».
Il est, selon les sources, orthographié « égrégore » ou « éggrégore » avec un g supplémentaire…
Le mot tarde à faire une timide apparition dans la langue française en 1857, sous la plume ô combien féconde du grand Victor Hugo, dans La Légende des Siècles. Certains biographes n’hésitent pas à prétendre qu’il aurait même inventé le mot et qu’il l’aurait utilisé davantage pour l’originalité de la rime sans trop se soucier de sa signification.
Il faut attendre un demi-siècle pour que le terme soit utilisé plus ou moins avec son sens actuel, ou l’un de ses sens actuels, par Stanislas de Guaita (1861-1897), cofondateur de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, qui la définit comme une entité propre constituée de l’ensemble des énergies cumulées de plusieurs personnes vers un but ou une croyance définis par elles. Son ami et secrétaire, Oswald Wirth, l’introduisit plus tard dans la Franc-Maçonnerie, suivi en cela par son disciple Marius Lepage.
Mais il n’est peut-être pas essentiel d’accorder à ces considérations étymologico-historiques plus d’importance que ce qu’elles méritent : peu importe dans le fond à l’utilisateur d’une kalachnikov l’origine de ce nom, du moment qu’il sait où se trouve la gâchette, et comment changer le chargeur semi-circulaire de cent coups.
Alors, qu’est-ce que l’égrégore ? Je ne peux résister au plaisir de citer un passage d’un blog maçonnique consacré au sujet qui nous occupe : « Certes, lors des tenues, le contexte pourrait contribuer indirectement à renforcer un état d’intériorisation pénétrant la couche substantielle d’une essence pour l’émanation du sentiment de l’influx spirituel mais rappelons que l’égrégore n’est qu’une vibration d’ordre physique associée au psychique. » Vous avez compris quelque chose ? Moi pas.
J’en reviens à notre ami Oswald Wirth, qui dit les choses plus simplement : « La force d’une association réside essentiellement dans la cohésion de ses membres. Plus ils sont unis, et plus ils sont puissants. En Maçonnerie, l’union n’est point l’effet d’une discipline imposée, elle ne peut naître que de l’affection que ressentent les uns pour les autres les Initiés. Il est donc de la plus haute importance de contribuer par tous les moyens à resserrer les liens qui unissent les Maçons.
Il est indispensable, avant toutes choses, de se voir afin de se connaître, de s’apprécier et de s’estimer. Toutes les réunions maçonniques seront donc suivies avec la plus grande assiduité. On s’y comportera de manière à mériter la sympathie de chacun, et par ailleurs, on se montrera plein d’indulgence à l’égard des défauts de ses Frères.- L’homme est toujours imparfait. Il faut donc éviter de s’arrêter aux faiblesses d’autrui ; discernons les qualités de nos collaborateurs et passons la truelle sur la rugosité des pierres qui doit indissolublement unir le ciment de la plus franche amitié. »
Et plus loin : « Ces hommes reconnus bons, loyaux et probes, sont tenus d’éviter avec le plus grand soin tout ce qui risquerait de les diviser. Il leur est spécialement interdit de se chercher chicane quant à leurs convictions intimes, tant religieuses que politiques, leur vertu caractéristique devant être, en toute chose, la Tolérance. »
Préoccupation qui se retrouve dans la Recommandation du Vénérable Maître au nouveau Frère à propos du tablier : « Permettez-moi d’ajouter aux observations du 1er Surveillant que vous ne devez jamais vous revêtir de cet insigne avant de pénétrer dans une Loge où il y a un Frère avec lequel vous êtes en désaccord ou contre lequel vous éprouvez des sentiments d’animosité. Dans ce cas, vous devez l’inviter à venir s’entretenir à l’écart avec vous, afin d’arranger amicalement votre différend. Si vous avez le bonheur de réussir, vous pouvez alors vous habiller, entrer dans la Loge et travailler avec l’affection fraternelle et le bon accord qui doivent toujours caractériser les Francs Maçons. Mais si, par malheur, votre différend est tel qu’il ne puisse s’arranger aussi facilement, il vaut mieux que l’un de vous ou que tous les deux vous vous retiriez plutôt que de troubler par votre présence la bonne harmonie de la Loge. »
Est-ce à dire que l’égrégore est le synonyme de la fraternité ? Je ne le pense pas, et le fait de bien s’entendre au sein d’un groupe donné n’est pas le privilège de la Maçonnerie, mais caractérise ou devrait caractériser aussi les partis politiques, les syndicats, les clubs sportifs et en fait toutes les associations. Ce qui fait la particularité, la singularité de l’égrégore maçonnique, c’est je crois le point de rencontre, la conjonction entre l’horizontal et le vertical, entre l’amour fraternel et l’amour du Grand Architecte de l’Univers. Cet égrégore est rendu possible par l’observation rigoureuse de notre Rituel qui nous permet de nous mettre en phase avec nos origines primordiales.
C’est ainsi que peut apparaître ce moment privilégié au sein de la Loge, où tous les Frères présents dans le Temple éprouvent le sentiment d’une intense communication entre eux, quels que soient leurs grades et qualités. Comme une espèce de famille, où tout est ressenti plus intensément, sur les trois plans matériel, intellectuel, et spirituel.
On peut dès lors imaginer que l’égrégore représente l’inconscient collectif d’un groupe ; et ce seraient les courants émotionnels, mentaux et spirituels émanant de l’ensemble de ses membres qui élaborent une forme-pensée pour ensuite la structurer. Plus la forme-pensée est alimentée et plus son rayonnement s’étend, mais moins elle est nourrie et plus elle s’affaiblit. Chaque membre verse son énergie dans l’égrégore et bénéficie en retour de l’influence cumulée de toutes les énergies du groupe. Si tous les membres du groupe sont soudés, si chacun est sur la même longueur d’onde, l’égrégore sera puissant. Le danger étant que si le groupe comporte des membres qui ne partagent pas la même ferveur que les autres, la force de l’égrégore risque de s’amenuiser.
Je me relis quelques jours plus tard et je constate que j’ai pêché par orgueil : comme si je pouvais prétendre à apporter quoi que ce soit de nouveau sur ce sujet… D’autant que j’ai oublié d’ajouter à mes deux dimensions une troisième, le temps. L’égrégore existe bien avant qu’on ait imaginé un nom pour la qualifier. Et quand prendra-t-elle fin ? Lorsque le dernier Maçon aura rejoint l’Orient éternel ? Ce qui n’est pas demain la veille (enfin une certitude!)
Je réalise aussi – il est bien temps – que l’égrégore est la chose la plus artificielle, la plus irréaliste, la plus difficile à réaliser qui soit. Prendre un groupe d’hommes, ou de femmes, ou d’hommes et de femmes, des gens que dans la vie profane je ne connaîtrais pas et n’aurais peut-être même pas envie de connaître, qui me bousculeraient dans le métro ou m’engueuleraient au volant, qui prendraient sur le rayon le dernier pot de Nutella, qui me feraient poireauter devant leur guichet, qui auraient un meilleur boulot que moi, une plus grosse bagnole… bref, me demander de me mettre sur la même longueur d’onde – pour employer des termes simples, voire simplistes – que ces gens-là, c’est quasiment mission impossible. Et pourtant, je ne sais comment, je ne sais pourquoi, ça marche ! C’est peut-être là l’un des secrets de nos Arts maçonniques.
J’ai dit.
Les égrégore existent independamment de la Franc-maçonnerie et il y en a autant que d’étoiles dans l’univers. La chaîne d’union n’est qu’une connection à l’un d’eux, si tant est que cette connexion puisse se faire de manière collective lors de cette chaîne d’union, car tous ne regardent pas dans la même direction. L’égrégore peut être comparé à la pluie, tant que le nuage n’est pas saturé et que la température ne s’y prête pas, il ne pleut pas.
Triple Accolades Fraternelles
L’égrégore, psychologiquement parlant, est la capacité pour un groupe humain de créer un moment émotionnel qui s’impose à l’ensemble de ses participants. C’est en fait possible grâce à la capacité du groupe d’induire une dépersonnalisation qui entraîne un transfert de fusion avec le « leader »-animateur du groupe. L’émotion peut être positive ou négative selon le groupe, son thème et la scénarisation réalisée ; cela peut être de la compassion, de l’amour mais aussi de la haine ou un appel au meurtre !
L’égrégore n’a aucune signification symbolique ésotérique sauf à penser que la manipulation mentale pourrait en avoir !
La volonté pour certains auteurs d’en faire un critère initiatique est une imposture intellectuelle.
C’est vraiment à prendre avec des pincettes !
Fraternellement