« Métro France » publie un article sur Marie-France Etchegoin et Frédéric Lenoir qui ont signé « La Saga des francs-maçons » chez Robert Laffont.
Un entretien avec les deux auteurs qui évoquent allègrement « le Symbole Perdu », la Franc-Maçonnerie et un véritable décryptage de l’ouvrage…
Marie-France Etchegoin, grand reporter au Nouvel Observateur, et Frédéric Lenoir, historien des religions, ont signé La Saga des francs-maçons (Robert Laffont). Un livre clair et solide, indispensable pour démêler le vrai du faux dans le nouveau roman de Dan Brown, Le symbole perdu (JC Lattès), en librairie ce jeudi. Interview de Marie-France Etchegoin.
On écrit beaucoup sur la franc-maçonnerie. Avez-vous souhaité avec ce livre corriger des idées encore fausses qui persistent sur le sujet ?
Oui. Très peu de gens savent réellement ce qu’est la franc-maçonnerie, on a tous des clichés, des idées plus ou moins préconçues, mais pas une vision d’ensemble sur ses origines, pourquoi elle a été créée, par qui, sur ses buts, sur les gens qui en ont fait partie, sur l’influence réelle dans la politique, en Europe ou aux Etats-Unis… ça reste très confus. On avait envie de raconter tout ça de manière didactique et vivante, parce qu’on s’est rendu compte que les ouvrages récents sur la franc-maçonnerie parlent beaucoup de la franc-maçonnerie contemporaine, des affaires, des francs-maçons en politique – qui sont certes une réalité -, ou alors ils sont écrits par les francs-maçons eux-mêmes et ils sont difficilement accessibles. Voilà pourquoi on a eu envie d’écrire ce livre, tout en sachant que c’était aussi l’un des thèmes du nouveau roman de Dan Brown, et que le sujet allait forcément venir sur le tapis.
Vous qui connaissez bien l’œuvre de Dan Brown, avez-vous été surprise, agacée, par le traitement qu’il fait de la franc-maçonnerie dans son roman ?
Agacée non, c’est un romancier, il écrit de la fiction. Brown, c’est toujours un peu le même système : il joue sur une certaine ambiguïté. C’est vrai que cette fois-ci, on sent qu’il a fait des efforts, notamment pour ne pas se mettre à dos la franc-maçonnerie. Il a déminé un certain nombre de pièges, notamment celles des théories conspirationnistes les plus grossières. Le héros de ses romans, le professeur Langdon, répète à plusieurs reprises que les francs-maçons ne dirigent pas le monde en sous-main, il professe même son admiration pour eux. En revanche, Dan Brown dit à travers ses personnages que la franc-maçonnerie n’est plus ce qu’elle est. Il tord le cou aux théories conspirationnistes, mais ça n’empêche pas de faire un certain nombre d’erreurs, ainsi que quelques clins d’œil à des gens qui sont abreuvés par cette littérature. Par exemple, dès le début du roman et dans les chapitres de fin, quand il décrit des cérémonies d’initiation maçonniques, il montre des protagonistes en train de boire du sang dans un crâne. C’est un rite qui n’existe absolument pas en franc-maçonnerie, c’est vraiment un poncif anti-maçonnique, de toute la littérature anti-maçonnique du XIXe siècle, qui présentait la franc-maçonnerie comme une secte diabolique, avec des rites barbares… Ou cette autre scène, où il décrit une réunion de francs-maçons du 33e grade, où se retrouvent les personnages les plus puissants de la ville la plus puissante du monde – Washington -, le directeur de la CIA, des juges à la Cour suprême, du gouvernement, et là, évidemment, il surfe sur toutes les théories conspirationnistes…
Brown n’hésite pas à réécrire l’histoire des Etats-Unis à travers le prisme de la franc-maçonnerie…
Oui, mais là, il est assez décevant ; il nous balade dans les monuments de Washington, il fait des allusions aux pères fondateurs de la nation américaine, en particulier à Washington qui était effectivement franc-maçon, mais il raconte assez peu le rôle de la franc-maçonnerie dans la création des Etats-Unis. Il présente surtout les francs-maçons comme des mages, des grands mystiques détenteurs de secrets très anciens qui remontent à l’Egypte… Ce n’est pas tout à fait vrai, parce que cette filiation-là est purement mythique, ce sont les francs-maçons eux-mêmes, quand ils se sont créés au XVIIIe siècle, qui ont eu besoin de se créer des origines et de s’inscrire dans une tradition, soit celle du Temple de Salomon, soit de celle, plus tard, des secrets de l’Egypte… Les francs-maçons du XVIIIe, et en particulier les fondateurs de la nation américaine, Washington ou Franklin, sont plutôt des rationalistes, inspirés par les Lumières, que des fondus d’alchimie ou des gens passionnés d’ésotérisme. Il donne une vision assez fausse de ce qu’étaient les francs-maçons aux Etats-Unis à l’époque.
Vous soulignez d’ailleurs que Dan Brown met plus en avant le côté ésotérique, donc spectaculaire, de la franc-maçonnerie, plutôt que sa filiation avec les Lumières… C’est un point de vue américain ?
Oui, mais il est vrai que la franc-maçonnerie américaine est très différente de la franc-maçonnerie française, du moins de l’image qu’on en a. On a souvent une vision assez caricaturale de celle-ci, qu’on imagine foncièrement anticléricale, or l’histoire de la franc-maçonnerie française est beaucoup plus compliquée. Avant la Révolution française, elle recrute largement dans l’aristocratie ; c’est du dernier chic d’être francs-maçons, un certain nombre d’évêques et de prêtres l’était… Encore qu’aujourd’hui, certaines loges prêtent serment sur la Bible, et font référence à Dieu, au créateur… Mais la franc-maçonnerie américaine se tient assez à distance des questions profanes, des débats de société, de la question politique, elle est plus engagée dans des œuvres de charité, et dans le perfectionnement de soi, la recherche spirituelle… Elle est moins engagée qu’une partie de la franc-maçonnerie française.
En lisant Le Symbole perdu, on a pourtant l’impression que la franc-maçonnerie américaine mélange un peu de tout : la religion, la noétique… C’est la part du romancier ?
C’est vrai que la noétique n’est pas à proprement parler un thème franc-maçon ! C’est un mouvement à cheval sur la science, la psychologie, le new age, et qui, pour aller vite, s’intéresse au pouvoir de l’esprit sur la matière. Dan Brown relie ce mouvement, qui est contemporain, aux religions anciennes. Et il dit que tout ça était présent, de manière consciente ou inconsciente, dans les religions ou dans les grands mythes de l’humanité, dans la Bible, les miracles… Il relie la noétique à la religion par ce biais-là, et comme la franc-maçonnerie a aussi des racines chrétiennes, il va mélanger tout ça pour les besoins de son roman.
Certains lecteurs crédules peuvent être induits en erreur par le prologue, où Dan Brown affirme que toutes les organisations qu’il évoque sont réelles…
Il avait fait la même chose dans le Da Vinci Code, où il disait que le prieuré de Sion était une société secrète qui avait réellement existé et qui remontait au Moyen Age. Dans notre premier livre avec Frédéric Lenoir, on a montré qu’en réalité, cette société avait été créée dans les années 50 par un mythomane fondu d’ésotérisme avec un passé assez louche sous la collaboration. Là, dans sa préface, Brown parle d’un document qui existe réellement, qui serait dans un coffre-fort de la CIA, et il relie tout ça aux mystères maçons. Là, on est dans l’imagination pure, même si ce document existe.
Comment Le symbole perdu a-t-il été reçu par les francs-maçons américains ?
Je crois qu’il a été assez bien accueilli, il faudra attendre de voir les réactions des francs-maçons français… Il est vrai que de manière générale, il ne professe pas d’énormités. En même temps, il dit qu’il a toujours été fasciné par le pouvoir occulte, que rien n’arrive par hasard, qu’il y a un pouvoir caché, que nous vivons sous contrôle, pauvres êtres humains… C’est vraiment la quintessence des théories conspirationnistes !
Ça rejoint une certaine paranoïa très vivace aux Etats-Unis…
Oui, et ailleurs… Après, il y a un autre thème qui va beaucoup intéresser les Américains : ceux-ci sont fascinés par l’histoire de leurs origines, une histoire assez courte si on la fait remonter à la création des Etats-Unis, et Brown insiste lourdement dans le livre pour expliquer que Washington est une ville aussi riche en histoire que les villes européennes… Il fait un raccourci historique assez amusant quand il dit que Washington s’appelait Rome et qu’elle avait été construite sur le modèle des cités antiques, avec des temples… Il fait allusion en fait à un colon du XVIIe siècle qui avait peut-être quelques lettres classiques et qui a appelé ses arpents de terre « Rome »… Après, il s’est écoulé beaucoup de temps, la guerre d’indépendance, le Congrès a discuté très longuement pour savoir où situer la capitale fédérale, ils ont choisi Washington qui était à l’époque un marécage. Le souvenir de Rome était assez lointain, mais Dan Brown en fait une cité antique ! C’est un thème qui peut fasciner les Américains, à la recherche d’une histoire ancienne, passionnés par les pères fondateurs.