Voici un article signé Matthieu Stricot, « De la séduction à la haine, les rapports compliqués de l’islam et de la franc-maçonnerie » paru dans « Le Monde des Religions« .
Il s’agit d’un entretien avec l’historien Thierry Zarcone, auteur de « Le croissant et le compas : Islam et franc-maçonnerie, de la fascination à la détestation (Dervy éditions – 30 octobre 2015)«
Extrait de « De la séduction à la haine, les rapports compliqués de l’islam et de la franc-maçonnerie » de Matthieu Stricot :
Fascination ou détestation ? Vis-à-vis de la franc-maçonnerie, quel a été le sentiment le plus fort en terre d’islam ?
Les musulmans éclairés (penseurs, diplomates, etc.) sont séduits par la franc-maçonnerie, en petit nombre, dès la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, et en nombre plus important, à partir du milieu du XIXe. L’attrait le plus notable à l’égard de la maçonnerie se produit toutefois en Égypte. Puis, au XXe siècle, les musulmans se ruent vers les loges, en Turquie (jusqu’en 1935), en Syrie et en Égypte (jusque dans les années 1950-1960).
Qui sont les ennemis de l’Ordre dans les pays musulmans ?
L’Église catholique, en premier lieu, fait connaître ses bulles d’excommunication de l’ordre maçonnique (en 1738 et 1751) dès le XVIIIe siècle, et convainc l’Église orthodoxe grecque et jusqu’aux Arméniens de suivre sa politique. Elle obtient aussi, chez les Ottomans, l’appui du sultan au milieu du XVIIIe siècle, lequel interdit une loge à Istanbul. Puis les autorités musulmanes s’y opposent à leur tour, reprochant à la maçonnerie la pratique du secret, un esprit missionnaire chrétien. Il y a alors, au XVIIIe et au début du XIXe siècle, peu, sinon aucun musulman en loge. Elles lui reprochent aussi, ce qui peut paraître contradictoire, un certain athéisme : cette troisième critique sera pourtant dominante aux XIXe et XXe siècles. En outre, tout comme l’Église catholique, l’islam reproche à la maçonnerie d’être ouverte à toutes les confessions religieuses, de permettre à des hommes de religions différentes de fraterniser. Pour les religieux les plus traditionalistes, il faut se garder de toute intimité avec des infidèles. Plus tard, les nationalistes turcs s’opposent aussi aux francs-maçons, pensant que leur idéal internationaliste nuit à leur devoir de patriote. Enfin, l’ordre maçonnique est vu, en terre d’islam, au début du XXe siècle, comme une création des juifs au service du sionisme et de l’État d’Israël.
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Le croissant et le compas : Islam et franc-maçonnerie, de la fascination à la détestation – Thierry Zarcone (Dervy éditions – 30 octobre 2015)
L’auteur dans une première partie propose une large vision historique de la franc-maçonnerie dans l’ensemble du monde musulman, du Maroc à l’Indonésie en y intégrant les régions subsahariennes en insistant sur le difficile passage d’une franc maçonnerie coloniale à une franc maçonnerie pluriconfessionnelle où les principes du vivre-ensemble maçonnique sont mis en action mais où ils trouvent dans certains cas, leurs limites et signent l’échec du fraternalisme maçonnique comme au Liban ou en Palestine.
La seconde partie de l’ouvrage aborde des questions précises d’ordre anthropologique, en relation avec les tentatives d’élaboration d’une franc-maçonnerie musulmane, ou plus exactement avec celles qui visent à harmoniser les pratiques de l’ordre avec les cultures sunnite, ch’ite, ismaélienne des pays d’islam. En effet, comment l’initié imprégné de telle tradition trouve-t-il sa voie dans une structure riche en rituel et en symboles d’essence judéo chrétienne où rien ne lui rappelle sa culture ?
Biographie de l’auteur
Thierry Zarcone est directeur de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique à Paris (Groupe Sociétés Religions Laïcité). Spécialiste de l’islam et des systèmes de pensée dans l’aire turco-persane, il est l’auteur de plusieurs livres et de nombreux articles sur le sujet et, en particulier, sur l’histoire du soufisme et du chamanisme dans l’Empire ottoman, en Turquie, en Asie centrale et au Turkestan oriental.