Voici la seconde partie du billet intitulé « L’égalité contre l’égalitarisme ? » de Pierre Pelle Le Croisa dans sa rubrique « Des clés pour hier et aujourd’hui«
L’égalité contre l’égalitarisme ? – Partie 2
Revenons sur la notion d’identité. Paul Ricœur rappelle que « c’est en distinguant qu’on identifie ».
L’identification se fait par différenciation. Par exemple, les Francs-maçons se distinguent des profanes ; mais s’ils se définissent comme des « initiés », ils vivent aussi en-dehors des temples. Autrement dit, ils sont à la fois identifiés comme « frères » et identiques à tous les citoyens. C’est dans cette ambivalence entre identité et identification, entre ressemblance et différence que l’égalité trouve sa place, en rejetant la notion uniformisante d’égalitarisme.
Demande : « Êtes-vous Franc-maçon ? »
Réponse : « Mes frères me reconnaissent comme tels », dit le rituel du grade d’apprenti.
Cette phrase est lourde de sens ; car elle signifie d’une part que je suis (et que je m’identifie) comme Franc-maçon ; d’autre part que je suis identifié comme tel par d’autres qui me confèrent cette qualité. Ce lien d’appartenance, s’il fait notre différence (vis-à-vis de l’extérieur), désigne de même notre équivalence (en interne) : mon identité en tant que personne (« intuitu personæ ») me singularise dans le groupe identifié auquel j’appartiens (les « Francs-maçons »). L’égalité s’établit dans la parité de nos rapports : la confrérie m’apporte ses valeurs, je la valorise par ce que je vaux. Dans cette équipollence, chacun trouve son compte : avec mon « ego », je me positionne – et ils me positionnent – comme leur égal.
Allons plus loin. Si je ne les avais pas reconnus, ou s’ils ne m’avaient pas reconnu comme tel, il ne pourrait pas y avoir d’égalité. C’est parce que, des deux côtés, nous nous sommes acceptés, c’est parce qu’il y a réciprocité dans nos rapports de parité que l’équation (du latin « æquatio », « égalisation ») peut être réalisée. Comme en mathématique, dès lors, chaque membre de l’égalité, définissant l’autre, lui donne son sens.
En fait, l’étymologie latine attribuée au terme « égal » est « aequus », avec les significations « d’équitable » et de « juste ». Le principe d’égalité est donc équilibré par l’idée de justesse et la valeur d’équité : « Dans le cas des actions justes l’égal, au sens premier, est ce qui est proportionné au mérite » édicte Aristote. « Quand, en effet, l’affection est fonction du mérite des parties, alors il se produit une sorte d’égalité, égalité qui est considérée comme un caractère propre de l’amitié. […] Ce n’est que si la bienveillance est réciproque qu’elle est amitié ». Il en découle que « c’est la proportionnalité qui établit l’égalité entre les parties », poursuit-il.
Mais quand la justesse rend justice à tous, et qu’elle proportionne l’égalité au mérite de chacun, elle définit l’équité. De même que l’iniquité éclaire l’injustice dans les inégalités, de même l’équité met en lumière la justice dans l’égalité.
Toutefois, « ce qui fait la difficulté, c’est que l’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la Loi, mais un correctif de la justice légale » achève Aristote. L’équité serait donc le moyen d’adoucir les rigueurs de l’égalité qu’ordonne le Droit.
La tolérance mutuelle est le signe d’une reconnaissance réciproque de nos différences.
En Franc-maçonnerie, au-delà de l’amitié même, la fraternité a pour but d’instiller une harmonieuse concorde dans les échanges entre les « ego » et les « alter ego ».
Les travaux sont ouverts. Sur les colonnes voisinent des frères de différents rites, de différentes obédiences, de différents degrés ; mais tous travaillent au grade d’apprenti. L’égalité maçonnique célèbre l’équité entre les initiés.
Le Surveillant Ancien, au « Rite Opératif de Salomon », convie les assistants à « prêter attention au Vénérable Maître d’Œuvre pour la deuxième batterie et l’acclamation du rite : « Liberté-Équité-Amitié » »…[1]
Pierre PELLE LE CROISA,
[1] Voir l’article précédent « L’égalité contre l’égalitarisme ? »(1), rubrique : « Des clés pour aujourd’hui et pour demain ».
- Pierre Pelle Le Croisa
Arrivé sur terre en 1947. Études : littéraires et économiques.
Activités professionnelles : Pour moitié Dirigeant de grandes entreprises, pour moitié Dirigeant de « Business Schools » françaises et internationales. Initié au Grand Orient de France en 1981, PPLC est membre actif de la Grande Loge de France depuis plus de 20 ans. Vénérable de plusieurs Loges, il s’est impliqué au Congrès Ile-de-France et au Conseiller Fédéral… Passionné par la recherche dans le domaine des idées (scientifiques, philosophiques, littéraires et initiatiques), écrivain engagé, il a publié une vingtaine d’ouvrages destinés au grand public et aux Francs-maçons. Il écrit aussi dans de nombreuses revues et magazines maçonniques.
Ouvrage de Pierre Pelle Le Croisa : Page Pierre Pelle Le Croisa