Jacques Fontaine poursuit sa contribution avec un dernier billet intitulé « Dualisme » dans sa nouvelle rubrique « Le Compas Pique » de Les illustrissimes blogueurs : « Les empêcheurs de maçonner en rond .
LE COMPAS PIQUE
Appel au meurtre !
Oui, c’est un cri ou plutôt une supplication que je vous lance, mon Frère, ma Sœur les plus anciens pour agir, sans tarder. Nous sommes, nous Francs-maçons, victimes d’un de nos symboles. Au lieu de nous aider à descendre en nous, conformément au trajet de la perpendiculaire , pour découvrir cris et duretés, monts et merveilles, cet abominable symbole nous pétrifie, nous gèle dans la posture la plus dogmatique, la plus cadenassée qui soit.
Nous disposons de nombreux arcanes –rite, mythe est symboles- pour nous réjouir en soliloque quand on est bien tranquille ; et ensemble pour nous raconter les uns les autres, de belles histoires de temples, de fantasmagories, d’utopies dans l’aurore de nos fraternités croisées…Et voilà, bing ! Patatras comme le cria Néron dans le Grand Cirque de Rome (Vae victis !), nous voici affublé(e)s d’un symbole fétide, qui pourrit la vie spirituelle de la manière la plus hypocrite. Ne se présente-t-il pas sous les traits de la familiarité bon enfant ?
As-tu deviné quel est cet arcane, aussi inoffensif d’apparence que pernicieux et taraudant le fond de notre âme ? Tu as peut-être en tête, je ne sais, le delta dont tu récuses l’œil indiscret, ou le silence quand il se fait assoupissement. Quelque obole qui sonne l’ite missa est comme une farce inachevée, ou bien encore l’apostrophe chantournée « Dignitaires qui décorez l’Orient… » ! Je te comprends, voilà bien en effet quelques chantiers de ravalement initiatique nécessaire. Nous en parlerons dans un prochain billet du « Compas pique » si tu le veux bien.
Le voici donc, celui que je voue aux gémonies, celui qui est cause de désastre maçonnique, celui qui nous recroqueville dans la normalité. Le voici : Le pavé mosaïque.
Instruisons son procès et jugeons le équitablement . Veux-tu bien servir de juré(e) ? Tu auras ainsi ton libre jugement.
L’histoire commence de la manière la plus engoncée, avec la bénédiction sacrée des choses puisées dans les vieux textes religieux. Et qui, de ce fait, vont s’inscrivant comme des dépôts mémoriels de la grande Tradition immémoriale, dans nos méninges tièdes de jeune Apprenti(e). Elle débute donc avec les deux colonnes signalées dans la Bible comme prémisses à l’entrée solennelle du Temple, Jakin et Boaz. En un rien de temps, l’espace d’une réunion avec le Second Surveillant, un instant furtif d’échange avec un Maître qui a à cœur de transmettre, comme il se doit , le néophyte imprime cette chose terrifiante : Tout va par deux, comme les colonnes. Ne représentent-elles pas le masculin et le féminin, le Septentrion et le Midi, la droite et la gauche .
Ah ! l’angoisse du premier pas dans la Loge, avec la lancinante question : Qu’est-ce qui est « bien » : commencer du pied droit ou du pied gauche ? Passons ! Les deux colonnes qui n’en peuvent mais, glissent en notre esprit la pire des maladies morales, le « dualisme », ce bâtard des amours impures de la dualité. Ce n’est pas tout. « Victoire ! » soupirent tant d’initié(e)s, quand éclate la confirmation du dualisme meurtrier, dans l’abominable pavé mosaïque ? Maintenant, ce ne sont plus les colonnes qui impriment la cire molle de notre cerveau ; elles se contentent d’éveiller le virus mortel, ce dualisme , partout paresseusement et dangereusement étalé sur le pavé mosaïque. Il s’exhibe au milieu de la Loge, dans le trouble obsessionnel compulsif qu’il déclenche en nos têtes de Maçons : Blanc, noir, blanc, noir, blanc…
La maladie nous chausse de bésicles duelles : le chaud et le froid, le haut et le bas, le blanc et le noir bien entendu. Alors quand ces balancements nous font tituber sous le bandeau de idées toutes faites et du prêt-à-porter, comme le disait mon maître Daniel Beresniak..alors l’état de santé spirituelle devient désastreux et sans espoir : les carreaux blancs et noirs deviennent le symbole du..Bien et du Mal !!! Et le virus d’envahir le corps de lumière naissante et étouffer les premières lueurs. Tout désormais, dans la tête du Franc-maçon imprudent, idéaliste ou tranchant se divise en deux parties. Le monde entier matériel, humain, sociétal et spirituel est clivé, fendu de haut en bas, en deux éventualités et en deux seulement, à partir de la première cellule infectée, celle du Bien et du Mal. La duplication va bon train : le bon et le méchant, l’ami et l’ennemi, l’intelligent et le sot, le beau et le laid, les défauts et les qualités, le fort et le faible…et dans un élan de mysticisme, les deux battements de l’univers (encore que, dans ce cas…). Bref tout est atteint, vérolé : mon âme, ma famille, mes proches, mes compatriotes, les êtres humains, la nature, tout est régi par le virus du dualisme. La Vie se résume à deux possibilités. La télévision de notre esprit est en noir et blanc
Aucune place pour les autres couleurs, les douces gradations, les barreaux de l’échelle d’amour, les niveaux de l’eau claire de la rivière…Désormais le complexe, le nuancé, les proportions, les à-peu-près comme les un-peu-plus, bref tout ce qui habite la chaude et palpitante réalité de l’ intérieur et de l’ extérieur heureusement mêlés, est gangrené.
Il faut choisir, c’est un oukase ! Plus de lieu pour les mi-mots de l’insu, le brouhaha des idées, les intermittences du cœur. Non, le froid, le gel et la pétrification partout : C’est oui ou c’est non, c’est clair ou obscur, c’est l’envie ou le dégoût. La petite et falote Synthèse peine à respirer entre la Thèse qui crie l’Antithèse qui hurle. Elle appelle à la rescousse, sa grande sœur, la Complémentarité qui cherche dans la pénombre la lumière qu’elle ne trouve pas. Vains efforts perdus dans les pays de préjugés, de certitudes et de rejets.
Nourri dans le bouillon de la religion, le dualisme répand partout la terreur du dogmatisme, les discours bloqués, les hoquets sanctifiés. Quelques Francs-maçons, dociles, se lovent dans la chaude matrice des ides toutes faites. Les plus lucides se lancent dans des combats chevaleresques. Parce que les opposés se dressent en deux camps antagonistes : Moi, nous et les autres-qui-ont-tort. Nos inconscients voyageurs sont peuplés de chevauchées fantastiques et de circumambulations hagardes. Où aller dans le vide croisé par les axes du Bien et du Mal ? Laisser, renoncer, abandonner…
` Nous n’avons pas écouté notre Frère Claude André Vuillaume : en 1820, paraît son Tuileur avec les dessins des tableaux de loge . Que voit-on ou plutôt que ne voit-on pas sur le tableau de la Loge d’Apprenti, l’ancêtre des nôtres ? Le pavé mosaïque ! Il n’y en a plus ! Mais l’histoire ne repasse pas les plats. A nous aujourd’hui de statuer, tuer. L’appel au meurtre ne sera pas entendu ;il n’est pas dans nos mœurs. Ma Sœur, mon Frère, qu’en dis-tu ? Quant à moi, je pourrais proposer le bannissement en anglo-saxonnie ou les écrous dans un cachot du passé révolu. Mais la bénignité est notre fierté. Alors pourquoi ne pas instruire les jeunes générations ? Ne pouvons-nous pas, avec eux, visiter le pavé mosaïque dans le musée suranné de l’histoire de notre glorieuse Confrérie ?
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre.
Ouvrages de Jacques Fontaine :Page Jacques Fontaine