La revue des francs-maçons du Grand Orient de France « Humanisme » – N° 307 – juin 2015 – consacre un dossier au thème « Y a-t-il toujours une vie intellectuelle en France ?«
Edito de Samuël Tomei
En finir avec la laïcité… Laïcité « ouverte », laïcité « positive » sont passées de mode mais l’idée reste et les apôtres de l’amour pour toutes et pour tous prêchent désormais une laïcité « apaisée », ignorant – ou au contraire sachant trop bien – la puissance disqualifiante du qualificatif. Effrayés à l’idée de passer pour sectaires ou islamophobes, les mêmes nous mettent en garde contre une laïcité « punitive », confondant non sans arrière-pensées les rigoureux partisans du principe, que nous sommes, avec ses fâcheux manipulateurs, que nous combattons.
Cette dévitalisation de la laïcité ne peut qu’inciter les politiques, qui ont le sens de l’intérêt général, à de vigoureux rappels aux fondements. Ce qu’ils font souvent avec un bel entrain mais pour aussitôt twitter qu’ils participeront à telle et telle fête religieuse, confortant de fait telle et telle « communauté » dans ses ardeurs revendicatives. Après tout, le Président de la République n’a-t-il pas déclaré urbi et orbi : « La République reconnaît tous les cultes » – quand bien même la loi dispose exactement le contraire ?
Le peuple a besoin de clarté. Admettons que la laïcité, cœur de la République, repose sur les articles 1er et 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui assurent la souveraineté de l’individu-citoyen et la souveraineté du corps politique, double autonomie qui implique séparation des sphères publique, collective et privée.
Alors il conviendrait de nous expliquer qu’on ne saurait préserver un tel modèle laïque dès lors qu’on s’emploie à substituer au projet moderne (celui des Lumières), dont il est issu, un postmodernisme dissolvant l’humanisme et l’universalisme. Alors il faudrait nous expliquer que la foi ne saurait se soumettre à la loi dès lors qu’on préfère le contrat à la loi. Dans cette perspective, une nation souveraine composée de citoyens égaux devrait faire place à une « société civile inclusive » guidée par des experts, de même que l’instituteur de « la laïque » transmettant des savoirs et œuvrant à l’émancipation de l’élève a déjà été remplacé par un professeur des écoles voué à l’épanouissement interdisciplinaire de l’apprenant. Enfin, pourquoi craindre d’affirmer que si l’on invoque en permanence la tolérance – concession révocable à l’existence d’autrui – et le « vivre-ensemble » – notion creuse dont nos élites ont fait leur mantra –, c’est qu’on ne veut plus de l’égalité ni de la laïcité ?
Pour retrouver un crédit dont le peuple les prive, les hommes politiques n’auraient-ils pas intérêt à mieux accorder leur discours et leurs actes et donc, pour la plupart, à avouer que, selon eux, la République indivisible, laïque, démocratique et sociale est obsolète ? « Les gens », comme on dit en post-République, à défaut de leur savoir gré de cet abandon, au moins ne seront-ils plus fondés à les accuser de trahison.
Samuël Tomei