Comme on pouvait s’en douter, « Le Point » consacre un article au dernier livre de Sophie Coignard Les francs maçons (100 questions sur…)
En outre, l’éditorial publie deux de ces 100 questions sur les francs-Maçons : Le coming out fait-il peur à tous les francs-maçons ? la réponse est non ! et Quelle est la région française la plus maçonnique ? où lon apprend que La géographie maçonnique se superpose souvent aux réseaux corses !
Comment les francs-maçons se reconnaissent-ils entre eux ? Comment se recrutent-ils ? Quels sont les régions et les ministères les plus infiltrés ? Les loges féminines jouent-elles un rôle ? Pourquoi La Fayette est-il leur idole ? Quels sont les monuments franc-maçonniques ? Aucun univers ne se prête davantage aux interrogations, aux spéculations, aux fantasmes que la franc-maçonnerie.
Cent questions – et cent réponses – n’étaient pas de trop pour en faire le tour et en pénétrer les arcanes. Rituels, symboliques, petites et grandes histoires, luttes d’influence, vie quotidienne, personnalités.., Sophie Coignard soulève tous azimuts les questions les plus iconoclastes sur ce monde hanté par le secret et qui entend bien perpétuer cette tradition. Depuis de nombreuses années, cette journaliste d’investigation explore les différents réseaux qu’elle a appris à connaître en profondeur. Sans tabou, sans parti pris, elle se fait notre guide, notre initiatrice. Bienvenue chez les frères !
EXTRAITS- Deux questions sur les francs-maçons :
Le Point a sélectionné deux questions parmi les 100 de l’ouvrage de Sophie Coignard.
Le coming out fait-il peur à tous les francs-maçons ?
Non. D’une part, tous ceux qui exercent des responsabilités au sein d’une obédience sont condamnés à en payer le prix : s’exposer à visage découvert. D’autre part, un nombre croissant (bien que très minoritaire) d’initiés constate que ce secret sert souvent de paravent à la « franc-maçonnerie alimentaire », autrement dit à des activités qui relèvent de l’affairisme voire de la justice pénale, comme l’ont montré les mésaventures des frères de la Côte d’Azur et d’ailleurs. À la suite de divers scandales – de l’affaire Mouillot, du nom d’un ancien maire de Cannes, à l’histoire de Marcel la Salade, sympathique maraîcher qui aimait rendre des services –, Éric de Montgolfier a été nommé procureur de la République au tribunal de grande instance de Nice pour réprimer les activités économiques et financières occultes. Un ancien hiérarque de la province parisienne de la GLNF, Jérôme Touzalin, désormais membre de la GLTMF (Grande Loge traditionnelle et moderne de France), créée par des dissidents de la GLNF, a écrit une « planche » – un texte destiné à être lu en loge – appelant ses frères à en finir avec cette discrétion excessive : « Le secret maçonnique, la discrétion des frères, m’étouffent, dit-il. Ce qui pouvait être justifié à certaines époques ne l’est plus ! Ce silence favorise toutes les dérives et abrite toutes les mauvaises manœuvres. Pendant vingt ans, j’ai respecté ce silence. Non point pour couvrir les basses opérations, je ne me doutais pas qu’à part quelques petits arrangements – je ne suis pas naïf à ce point ! –, il pouvait s’en passer de si énormes ! Je me suis donc tenu à l’écart, travaillant sagement dans mon atelier, aidant à la direction de la province. Maintenant, ce n’est plus possible. J’enrage que notre discrétion, que j’ai acceptée pendant si longtemps, fasse le lit des ambitieux, des abuseurs de biens collectifs, des dévoyeurs de notre philosophie humaniste. Je suis de ceux, trop rares, qui ne veulent plus cacher qu’ils sont maçons. » Cette position est courageuse et très avant-gardiste en matière d’attitude générale face au secret d’appartenance.
Quelle est la région française la plus maçonnique ?
En avril 1983, la foule se presse dans l’église Saint-Pierre de Neuilly-sur-Seine pour rendre un dernier hommage au maire, Achille Peretti. Devant sa dépouille, les frères de l’île de Beauté ont droit à un traitement de faveur. Ils sont trois, installés juste derrière la famille. Charles de Cuttoli et Paul d’Ornano sont tous les deux sénateurs des Français de l’étranger. René Tomasini, ancien résistant, a été secrétaire général de l’UDR, secrétaire d’État de Georges Pompidou, et demeure sénateur-maire des Andelys, dans l’Eure. Il a créé, dans les années 1970, l’Amicale des parlementaires francs- maçons, un club destiné à regrouper les élus de la nation à la fois initiés et corses, un cénacle transpolitique où se côtoient des élus de gauche, comme le maire d’Alfortville et proche de François Mitterrand, Joseph Franceschi, de droite, comme Jean-Paul de Rocca Serra, député-maire de Porto-Vecchio, et des radicaux comme le sénateur François Giacobbi, fils de Paul Giacobbi, ministre du général de Gaulle, et père de Paul Giacobbi, député de Haute-Corse. La géographie maçonnique se superpose souvent aux réseaux corses.
La revue de géographie Hérodote a publié, en 1999, un article intitulé « De l’île de Corse à l’Île-de-France, les élus d’origine corse à Paris et dans les Hauts-de-Seine ». Il y est question de l’Amicale des parlementaires et membres du Conseil économique et social d’origine corse, lointain avatar de l’association créée par René Tomasini. « Autour d’une bonne table se retrouvèrent ainsi au mois de décembre 1997, Émile Zuccarelli, alors ministre de la Fonction publique, et les sénateurs Charles Ceccaldi-Raynaud, Michel Cha- rasse, Charles de Cuttoli, Jacques Dominati, Jean-Baptiste Motroni, Philippe Marini, Paul d’Ornano, Charles Pasqua, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques de Rocca Serra, Henri Torre, Maurice Ulrich. À cette même table, on trou- vait également les députés Pierre Albertini, Roland Blum, Laurent Dominati, Henri Emmanuelli, Roger Franzoni, Claude Goasguen, Jean-Antoine Leonetti, François Léotard, Thierry Mariani, Jean-François Mattei, Louise Moreau, Paul Patriarche, Jean-Paul de Rocca Serra, José Rossi, André San- tini, Jean Tibéri. Enfin, appartenaient à l’association, à cette époque, dix membres du Conseil économique et social, ainsi que Jean Baggioni, en tant que député européen et enfin, et à titre exceptionnel, Philippe Massoni, le préfet de police de Paris », écrit Emmanuel Bernabéu-Casanova. À part Charles Pasqua, rares sont les non-initiés dans cette liste.
Cette osmose entre les loges et les clans a été confirmée par l’un des plus hauts dignitaires de la GLNF, René Lola, membre du Souverain Grand Comité, le « parlement » de l’obédience, dans une interview accordée au magazine Corsica, à l’été 2008. Ce docteur en droit assure que près d’1 Corse sur 100 – soit environ 2 000 personnes – est franc- maçon. Rapporté à l’ensemble de la population française, un tel ratio correspondrait à un effectif de 600 000 frères et sœurs ! René Lola explique ce succès des obédiences par le clanisme : « Les Corses sont par essence clanistes. Sans doute veulent-ils se retrouver dans un système claniste comme la franc-maçonnerie [qui] est structurée avec des chefs, des codes… »
La loge Pasquale Paoli du Grand Orient, créée en 1989, rend hommage à ce général qui fut l’inspirateur d’une éphé- mère Corse indépendante après 1755. Ce franc-maçon est devenu la principale icône des passionnés de politique – et ils sont nombreux – sur l’île de Beauté. C’est Philippe Guglielmi, ancien grand maître du Grand Orient, aujourd’hui député de Seine-Saint-Denis, qui l’a fondée. Avec ses avocats, ses médecins, ses élus aussi, la loge Pasquale Paoli débat des problèmes de l’île et entend y apporter des solutions. C’est encore Philippe Guglielmi qui réunit les membres de toutes les obédiences chaque année en août, pour passer la journée à l’auberge du col de Vergio, située à 1 500 mètres d’altitude sur la ligne de partage entre la Corse du Nord et celle du Sud. Sur ces hauteurs, ils n’étaient que 15 en 2002 ; quelques années après, ils sont plus de 100.