Jean-Pierre Catala, du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France (GODF) était en visite sur l’Île Maurice en février 2013 à l’occasion du dixième anniversaire du Souverain Chapitre mauricien qui fait partie du Chapitre Général du Grand Orient de France.
Il a été interviewé par l’éditorial « Le Mauricien » sur la place de la franc-maçonnerie mauricienne, sur le GODF, sur les loges de perfectionnement ou les loges de sagesse, etc… et il y a une phrase atypique que je retiens c’est celle sur la mixité au GODF lorsque Jean Pierre Catala affirme que le GODF est une « obédience multigenre, pas une obédience mixte«
Article : JEAN PIERRE CATALA: « Être franc-maçon c’est d’abord être citoyen » (voir ci-dessous)
Quel est le but de votre visite dans l’île ?
Ma visite coïncide avec la célébration du dixième anniversaire du Souverain Chapitre mauricien qui fait partie du Chapitre Général du Grand Orient de France (GODF). Il y a dix ans nous étions encore balbutiants sur le devenir de ce chapitre général puisque les hauts grades du GODF n’ont été réactivés qu’en 1999 officiellement. Après avoir été en sommeil pendant pratiquement 150 ans, la réactivation a commencé en 1994 sans être complètement reconnue. Elle a été reconnue lors de l’assemblée générale du Grand Orient de France en septembre 1999. Le Chapitre mauricien, créé en 2002, fait partie des premiers qu’on a essayé de mettre en place pour développer le réseau sur le territoire français et les territoires d’outremer ainsi que dans des lieux comme l’île Maurice qui a un passé qui nous relie à elle (Ndlr : La Loge de la triple Esperance a été créée en 1778). C’est cela qui est important. Nous sommes venus pour célébrer ce dixième anniversaire.
Parlez-nous de ce chapitre mauricien…
Le Souverain Chapitre mauricien, créé par des maîtres du GODF, a pris le nom de “Les quinze artistes”. À mes yeux d’ancien rugbyman, ce chiffre quinze exprime l’esprit d’équipe, la combativité, la fraternité d’arme, le dépassement de soi. Plusieurs symboles sont réunis dans ce chiffre. S’agissant du terme “artistes”, je l’associe à la liberté d’esprit, la liberté d’opinion, la liberté de conscience, la liberté du corps, liberté de l’image, la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté d’expression etc. L’artiste est celui qui vit dans l’imaginaire, dans une démarche souvent utopique. Tous les maçons portent en eux une part d’artiste qu’ils ignorent souvent. Le chiffre quinze et le mot artiste réunis permettent de mettre en exergue les valeurs et les principes maçonniques.
Pouvez-vous nous situer le Grand Chapitre au sein des structures du GODF ?
Le Grand Chapitre Général est un des axes du Grand Orient de France qui se compose de loges. Au-delà des trois grades (apprenti, compagnon et maître) des loges dites symboliques, nous avons ce qu’on appelle les loges de perfectionnement ou les loges de sagesse. C’est ce que nous appelons des souverains chapitres. Au sein de ces structures nous travaillons sur tous les phénomènes sociétaux de notre temps. Un grand chapitre général en France gère les chapitres qui ont aujourd’hui atteint le nombre de 177 et qui regroupent près de 4 000 membres dans le monde. Le Grand Chapitre Général est composé d’un conseil qui est connu comme la chambre d’administration. Nous opérons de manière autonome et avons reçu de la GODF une délégation pour gérer les chapitres. Donc nous ne sommes pas indépendants du GODF dont le Grand Maître est le garant du rite. Nous sommes autonomes mais avons une délégation pour appliquer le rite et nous avons obligation de rendre compte au Conseil de l’ordre du GODF du travail que nous faisons et de tout développement du chapitre général. Le fait d’être totalement intégré au GODF empêche toute dérive dans l’application du rite.
Y a-t-il une hiérarchie à l’intérieur des structures du GODF ?
Comme dans toutes les structures il y a une hiérarchie sans laquelle on risque d’avoir une anarchie. Je m’empresse de dire que nous pratiquons une démocratie éclairée avec des structures permettant la représentation des membres. À l’intérieur de cette démocratie il y a certaines règles qui empêchent tout débordement. D’abord nous sommes régis par des règles d’associations et puis nous élisons les membres du conseil d’administration qui assure la gouvernance du chapitre général et il revient au conseil d’administration d’élire son président. Mon mandat de président expire en 2015 et chaque année l’élection du président est remise en cause par le législatif qui doit voter le rapport moral du président. Nous avons également une chambre de justice pour traiter des phénomènes de la justice maçonnique qui peuvent se présenter. Nous décidons des radiations, des exclusions selon les comportements de frères.
Le Grand Chapitre est donc propre au Grand Orient de France ?
Tout à fait. Le GODF est détenteur et propriétaire de toutes les patentes. En 1773, il y a eu la création du Grand Orient de France suite à une scission de la Grande Loge d’alors qui n’a rien à voir avec la Grande Loge de France actuelle qui a été créée en 1883. La Grande loge dont je fais mention avait été créée en 1717 avec les Anglais. On a commencé à avoir des loges en France à partir de 1728 à l’initiative des Anglais. À partir de 1773, le GODF a récupéré toutes les patentes existantes et celles qui ont été mises en place par la suite. C’est lui qui transmet les patentes à d’autres obédiences.
Si vous vous regardez une des problématiques qui se posent à nous aujourd’hui, vous verrez qu’en 1802 le GODF a transmis la patente du rite français dit moderne aux Portugais. En 1804, les Portugais l’ont transmise au Brésil qui était l’annexe du Portugal. Aujourd’hui, les Brésiliens se disent légitimes propriétaires de la patente et la transmettent aux autres obédiences. C’est ainsi que la Grande Loge Nationale Française travaille avec une patente qui leur a été donnée par les Brésiliens. Or nous avons mis en place un système selon lequel les patentes ne sont pas rétrocessibles. Nous estimons que seul le GODF peut transmettre les patentes. Ce sont là les subtilités du rite français qui est un rassemblement d’autres rites pour faire un rite unique. Nous sommes propriétaires de cela et lorsque nous sommes au Grand Chapitre Général du Grand Orient de France nous appartenons à cette obédience.
Quelles sont les conditions d’admission aux souverains chapitres ?
Il suffit qu’un maître ait trois années de maîtrise. C’est la base. C’est aussi valable pour les autres rites : rite écossais ancien et accepté, écossais rectifié, le rite émulation et le rite de York etc. Au sein du GODF il y a cinq juridictions de hauts grades. Il faut que le maître-maçon soit membre du GODC et ait présenté un travail de qualité pour que le souverain chapitre puisse décider de le recevoir ou pas.
Y a-t-il un Grand Orient de Maurice ?
Pour que le Grand Orient de Maurice puisse exister, il faut qu’il ait la patente du GODF. Nous sommes allés récemment à St Domaingue qui travaille selon le rite émulation qui est pratiqué par la Grande loge d’Angleterre. Le conseil de l’ordre de cette obédience a demandé au GODF de lui attribuer le rite français pour travailler dans les loges symboliques et les grades capitulaires (les hauts grades). C’est le grand maître qui a signé la patente pour les premières loges et j’ai signé la patente pour les hauts grades puisque je représente la juridiction du rite français. Voilà, s’il y avait un Grand Orient de Maurice, il demanderait de toute façon la patente pour exister au GODF sauf s’il veut s’affilier à la Grande Loge d’Angleterre qui se dit régulière.
Vous avez durant votre séjour rencontré les membres des différentes associations du GODF. Avez-vous noté un intérêt pour le chapitre ?
Premièrement je leur ai laissé le temps de réfléchir. Ce qu’il y a d’intéressant est que beaucoup de femmes se sont déplacées. Les souverains chapitres peuvent s’ils le souhaitent accueillir des femmes à condition qu’elles soient membres du GODF depuis 2010. Il revient au chapitre concerné de décider mais nous n’avons pas d’obligation d’accepter systématiquement les femmes. Le GODF deviendrait alors une obédience mixte, ce qu’il n’est pas. Il est une obédience multigenre, pas une obédience mixte. C’est pourquoi chaque loge ou chaque chapitre doit prendre sa propre décision à ce sujet. Je leur ai donné un éclairage sur le rite français qui travaille énormément sur des problèmes de société. Nous sommes le continuum entre les trois premiers grades, à savoir apprenti, compagnon et maître, pour aller aux quatre ordres du rite français dans la continuité.
Quel message avez-vous mis en avant durant votre passage à Maurice ?
D’abord en tant que francs-maçons nous sommes d’abord citoyens. Les valeurs et les principes que nous défendons au sein de la franc-maçonnerie, au sein de notre obédience et de nos loges, nous avons à les mettre en pratique dans la société. On peut le faire de plusieurs façons, soit en s’engageant dans la société par un acte volontaire d’être l’élu d’une ville ou du parlement, des associations des droits de l’homme, en s’investissant dans les sociétés dans lesquelles on travaille par l’exemplarité. Le franc-maçon, il est comme les autres hommes, c’est-à-dire des hommes de justice. La maçonnerie lui donne des outils. S’il sait s’en servir c’est très bien, s’il ne sait pas le faire il peut faire quarante ans de franc-maçonnerie tout en restant profane. C’est selon le travail qu’il fera d’abord sur lui, puisqu’on applique la règle “connais-toi toi-même” et ensuite il devra mettre en application la fraternité universelle en apprenant à accepter et à respecter les autres. Il s’agit de porter nos valeurs dans le monde d’aujourd’hui qui est un monde où il a beaucoup d’angoisse, il y a des drames qui se passent tous les jours, il y a la démocratie qui est bafouée dans certains pays. Donc portons nos valeurs et engageons-nous en tant que citoyens et avec des valeurs classiques de la franc-maçonnerie. Le rite français rayonne dans le monde. C’est pourquoi nous avons mis en place des grands chapitres généraux pour d’autres obédiences. Nous avons 21 chapitres de ce genre dans le monde en Afrique, en Europe y compris l’Europe de l’Est, l’Amérique latine, le bassin Caraïbes. On ira à Cuba l’année prochaine. Donc nous travaillons sur le développement du rite français dans le monde avec ce qu’il représente, cette capacité de travail initiatique, symbolique et philosophique et ensuite le travail sociétal.
Quels sont les sujets sociétaux qui vous intéressent le plus ?
Nous avons deux commissions, l’une s’occupant des questions et études et l’autre qui est une commission de prospective, et qui réfléchissent surtout sur les problèmes de société. Cette dernière a travaillé jusqu’ici sur la loi de 1905 c’est-à-dire la laïcité et les droits de l’homme, on a travaillé sur la gouvernance mondiale, la république universelle, la violence au travail, le vieillissement de la population, sur le genre humain, sur la nanotechnologie. Nous prenons ensuite contact avec les francs-maçons qui ont un engagement national pour leur remettre nos travaux. Ils en font ce qu’ils veulent. S’ils peuvent utiliser quelques éléments nous aurons participé à la vie politique du pays. Si les Mauriciens veulent travailler sur un sujet d’intérêt national ou un sujet régional conjointement avec les francs-maçons des pays avoisinants et nous transmettre leurs travaux, ils peuvent le faire.
Peut-on accéder aux chapitres à n’importe quel âge ?
On peut le faire à partir du moment qu’on est maître et que la plénitude de ses droits est reconnue. Un chapitre doit être composé des maîtres venant de plusieurs loges ne serait-ce que pour la transversalité qu’on peut avoir de la richesse qu’on peut trouver dans un chapitre. Si un chapitre est issu d’une loge, le problème auquel cette dernière a à faire face se répercutera sur le chapitre.
Quel est le poids de la franc-maçonnerie dans la société d’aujourd’hui ?
Le poids que peut représenter une personne dans la société en tant que franc-maçon. Certains, notamment en France, trouvent qu’il y a des maçons dans le gouvernement. En vérité, il y a aussi des chrétiens, des protestants, des musulmans, des athées et des personnes d’autres croyances etc., malheureusement lorsqu’on en parle dans les médias on relève surtout les défectuosités, on parle très peu de l’engagement personnel des francs-maçons et leur engagement de porter le message de paix, d’amour, de fraternité, de lien entre les hommes.
Comment voyez-vous l’avenir de la franc-maçonnerie dans la région ?
Dans cette région de l’océan Indien, les souverains chapitres sont placés dans une triangulation qui est Maurice, Madagascar et la Réunion. Il y a une grande potentialité pour travailler ensemble. Une union entre les trois îles représente une force de transmissions de nos valeurs dans ce bassin de l’océan Indien. Nous sommes heureux de constater que cette union existe. Aujourd’hui, il y a un chapitre ici et peut être que dans dix ans il y aura deux chapitres. Mais nous ne sommes pas dans l’immédiateté, nous sommes dans le temps. Nous avons donc la possibilité de prendre du recul et de nous intégrer même s’il faut plus de temps pour créer un chapitre qu’une liste électorale. Nous semons quelque chose, et si dans vingt ou trente ans cette semence a été prise en compte par d’autres, nous aurons fait partie de la mise en place d’un système de valeurs et de principes que représente la franc-maçonnerie universelle.