« La solitude a deux facettes. Volontaire, elle élève et purifie. Obligatoire, elle étouffe et détruit ». Francine Ouellette
La solitude est une réalité bien plus difficile à appréhender qu’il n’y paraît.La solitude est sans doute l’une des plus grandes angoisses de notre culture post-moderne. D’ailleurs n’a t elle pas été mise en avant à l’occasion de cette journée spéciale de lutte contre la solitude en juillet 2011 et que même le label «Grande Cause nationale 2011» a été attribué au collectif « Pas de solitude dans une France fraternelle » rassemblant plus de 26 associations françaises, et près de 3500 partenaires.
Le solitaire est stigmatisé par la société. Oui, entendez bien aujourd’hui «Grande cause nationale», la solitude apparaît aux yeux de tous comme l’un des plus grands maux de notre société : une honte, un désespoir.
Et pourtant, les expériences mystiques et religieuses ne cessent d’en faire l’éloge. Et c’est ce coté là de notre miroir intérieur que je vais aborder avec vous.
Je n’évoquerais pas délibérément la solitude sentiment tragique qui peut mener à des conduites désespérées, au suicide, à la dépression, à diverses maladies et névroses même si le cheminement à une solitude salvatrice et ascétique est pavé de telles épreuves.
Non je désire évoquer avec vous ce que ma solitude, un temps imposée, m’a conduit à admettre…
***
Que je suis un solitaire, depuis toujours et plus que jamais. C’est même cette solitude qui me fait tenir debout, avancer et créer.
Je suis un solitaire, donc, quoique bien entouré et riches de belles et solides amitiés. La souffrance, dans cette solitude n’est point absente. Je l’ai subi, j’avais peur d’elle, comme d’un
croquemitaine, puis avec le temps et les épreuves, j’ai appris à l’apprivoiser, et elle est devenue une très gentille sorcière à qui je confie mes petits secrets. Ensemble, nous monologuons et le silence est son interprète. Oui je l’ai détesté et aujourd’hui je l’apprécie.
Je veux aborder avec vous, vous dire ce que je ressens pour elle. Les personnes qui la craignent sont des ignorants, ils préfèrent s’entourer d’une multitude de relations, d’amants, de gens suffisants et insignifiants croyant ainsi se rassurer, mais ils s’accrochent à des étoiles d’illusions.
La société actuelle vit sous le régime du semblable et non du différent «Mieux vaut être seul que mal accompagné». Ce proverbe est loin d’être suivi et le monde moderne, empli de technologies et vide de chaleur humaine, nous pousse plutôt à rechercher un nid de tendresse ou l’appui d’un groupe. «Tout plutôt que d’être seul» serait donc la devise actuelle.
D’abord, pour dissiper tout malentendu, oui la vie est relation, vivre c’est être relié, c’est un fait absolument incontournable : nul ne peut vivre hors de toute relation, mais à la seule condition d’être d’abord relié à soi-même, de vivre en relation avec soi même.
Nous avons besoin de solitude pour intégrer un à un les événements de notre vie, pour les intérioriser, car nous perdons en intensité ce que nous acquérons en sécurité.
***
La solitude est une invitation à la découverte de soi-même, à la découverte de cet être qui n’est pas seulement un produit de la société, de la famille, de l’histoire mais un être singulier, distinct et particulier: moi / nous.
Le précepte du Temple de Delphes, celui de Socrate, prend, dans ce thème de la solitude, toute son ampleur «Connais toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les Dieux» dont on oublie toujours la suite : «Tu sauras, tu expérimenteras que tout est en toi, que tu es immense, que tu héberges l’univers, que le divin est ta véritable nature. Au non de quoi tu te découvriras véritablement Libre et non pas supérieur ou inférieur aux autres» : Libre ! Il existe des équivalent comme le précepte du VITRIOL, cette formule qui figure sur les murs du Cabinet de Réflexion : «explore l’intérieur de la terre, en rectifiant tu trouveras la pierre cachée.». Ou pour notre Frère Lams, je reprendrais ce Hadith de la mystique de l’Islam «Celui que se connaît, connaît son Seigneur».
Ces préceptes nous enseignent à bâtir notre solitude comme à tailler notre Pierre. La Solitude est une épreuve sur la voie initiatique que nous avons emprunté. La Solitude est donc un départ, un voyage qui ne finit pas, une épreuve que l’on aborde différemment, qui nous permet d’acquérir des qualités et des vertus telles que le courage, la patience, la force, l’endurance, la persévérance, la bienveillance et l’humilité.
***
Nous vivons dans une société matérialiste, uniquement préoccupée de possessions et de pouvoirs qui ne prend en compte que l’ego en le flattant exclusivement et excessivement à travers la notion du groupe.
Nous vivons dans une société qui ne nous apprend pas à être seul. Au contraire, toute éducation, qu’elle soit dispensée par la famille ou l’école, vise à n’être jamais seul : On ne laisse pas un enfant dans le silence, face à lui-même, on l’oblige à jouer avec ses camarades, à faire partie d’une équipe ou d’une bande, à communiquer, à s’intégrer. Lorsqu’il grandit, ses parents et ses professeurs s’inquiètent s’il demeure seul, s’il préfère la compagnie des livres, des arbres ou des animaux à celle des humains. On s’inquiète plus de son apparente insociabilité que de son équilibre intérieur.
Plus tard, il voyagera en groupe ou au moins avec une personne, d’ailleurs pour preuve les tarifs sont plus intéressants en groupe alors qu’il faut payer des suppléments pour une chambre individuelle.
On le dépossède de lui-même, on le pousse à être dépendant des autres. On appelle cela l’esprit de famille, la camaraderie, le sens de la fraternité ou de la communauté. Tout semble programmé pour égayer ou briser ses rares moments de silence et de solitude. Même si tout cela part de bons sentiments, on sait que parfois les bons sentiment s’avèrent les plus possessifs et les plus envahissants.
Car lorsque cet enfant devenu homme affrontera des ruptures sentimentales, des deuils, ou tout simplement une perte d’emploi ou une mise à la retraite, il aura peur et perdra pied: il connaîtra cette solitude mortifère que j’évoquais au tout début, il sera désemparé. Cet homme depuis qu’il est né, a été détourné de sa solitude, on lui a fait croire que sans les autres il n’est rien et ne sert à rien. On ne lui a pas appris à compter sur lui-même, à se connaître, à se faire confiance.
Même dans ma profession, pour la réinsertion des jeunes délinquants, je suis étonné que l’on a décrété, que pour apprendre à vivre en collectivité, que pour bien vivre ensemble il est obligatoire de vivre ensemble : ainsi on a recours au foot ou à d’autres activités collectives. On fait passer le groupe, la bande avant le sujet responsable, comme la charrue avant les boeufs.. En effet, les enseignants, les éducateurs ne proposent que très rarement une activité propre à chacun afin de développer chaque individualité avant de les mélanger toutes. Alors que ces mêmes jeunes souffrent d’un manque d’individualité et par conséquent souffrent du désoeuvrement et de la peur d’être seul d’où le phénomène de bande qui se crée et se propage.
Mais j’en reviens à notre solitude, à cette quête. Nous, qui avons vécu l’initiation maçonnique , parcours tout d’abord solitaire, lors du recueillement dans le Cabinet de Réflexion. D’ailleurs notons que chaque société initiatique impose aux profanes et initiés une période soit de jeun, de silence: une période de solitude… Les sociétés tribales, amérindiennes imposaient à leurs membres une retraite solitaire pour marquer le passage du statut de l’enfant à celui d’adulte.
La solitude était synonyme de source créatrice et bienfaitrice. Car être seul c’est se tenir devant l’inconnu. Dans notre vie quotidienne, chacun peut faire l’expérience imposée ou désirée de se retrouver seul, face à soi ce qui équivaut à se retrouver face à l’inconnue de soi.
Souvenons du mythe de Robinson Crusoe de Daniel Dafoe : ce naufragé sur une île perdue et sans habitants, qui nous rappelle que lorsqu’on est seul, on est obligé d’inventer, de créer du neuf à défaut d’imiter les autres. L’isolement qu’il vivra lui apprendra à se connaître, à repousser ses limites à se découvrir important et surtout surtout à apprécier sa rencontre avec Vendredi et plus tard à renouer avec la civilisation autrement, en homme libre capable de tous les possibles alors qu’il se sentait médiocre auparavant.
La solitude s’avère parfois un mal nécessaire, un besoin vital… alors à défaut de la vivre de manière aussi violante que Robinson, appréhendons nos moments de solitude autrement et tirons en toute la quintessence…
Le véritable solitaire ou le solitaire accompli, celui qui est en paix avec lui-même après certainement épreuves et souffrances, n’est pas celui qui n’aime pas les autres mais c’est celui qui apprécie certains autres. Le véritable solitaire a le sens de l’amitié, il célèbre une relation unique entre deux personnes distinctes. Le véritable solitaire sait qu’il a beaucoup à apprendre des autres alors que la plupart ne cherchent qu’à enseigner aux autres. Le véritable solitaire est un homme libre, libre de toute attache et de tout dogme.
Un goût irrésistible de liberté s’éprend de nous aujourd’hui : pour preuve ces innombrables expériences de l’homme qui le pousse à conquérir des espaces en solitaire : courses autour du monde, Chemin de Compostelle que l’on emprunte seul, retraite dans des monastères, vie à la campagne, etc… Oui nous sommes aujourd’hui en quête de sérénité, d’une solitude apaisante au milieu d’une société tumultueuse. Nous mêmes ici en ce moment, dans ce Temple, nous sommes seuls avec nous mêmes à écouter, à prendre la parole avec parcimonie.
La conquête de sa solitude signe la maturité et parfois même le génie. Nul ne peut se dire philosophe, écrivain, artiste et surtout homme libre s’il n’a exploré, épousé sa solitude.
Conclusion
Voyons chaque instant de solitude qui s’offre à nous comme un nouvel apprentissage de la vie, dans ses limites comme dans ses moments de grande plénitude. Même si notre besoin de l’autre est très grand, il ne peut remplir notre vide et nous apporter la sécurité que nous recherchons.
Cette sécurité, il faudra la trouver en nous-mêmes, car il est impossible de penser que nous pouvons nous trouver en quelqu’un d’autre.
C’est tout le sens de l’identité personnelle. Cette identité se trouve en marchant sur notre propre chemin et en nous connaissant bien nous-mêmes.
Le secret, c’est cette plongée à l’intérieur où nous irons puiser force et inspiration.
La solitude est pesante, parfois. Mais elle est moins pesante quand elle se fait pensante, mais penser dans la solitude appelle un certain courage et non la résignation.
Tant que l’on refusera à accepter une certaine solitude, en la cachant par des divertissements, des institutions, sous prétexte d’inadaptation social, l’homme sera maintenu dans la peur, peur de la perte, dans la peur de mourir car la solitude, nous renvoie à la plus grande de l’homme : la peur de la Mort.
Bien entendu, la solitude ne doit pas être constamment creusée ou contemplée, mais c’est toute l’approche de la solitude et la manière de la vivre quand elle se présente, imposée ou choisie, qu’il convient à nouveau de découvrir, pour mieux aller à la rencontre de l’autre et découvrir son alter/ ego, son autre soi.
J’ai dit…
Source de cette planche (certains passages en sont un copié-collé exact!): « L’esprit de solitude » de Jacqueline KELEN, ISBN 978-2-226-29095-3.
N’OUBLIONS PAS L’HONNÊTETÉ: cela aussi fait parti du Chemin.
Merci.
Très belle planche. J’ai vécu une NDE et depuis je vis seul en ermite et suis très heureux!
Tout à fait d’accord.
Après 36 ans de mariage, je me suis enfui et je vis volontairement seul depuis 9 ans tout en ayant une vie sociale.
Mon expérience de vie m’a conduit à une pensée que j’applique : Avancer seul n’importe où est préférable à rester nulle part avec n’importe qui.
Après 36 ans de mariage, je me suis enfui et je vis volontairement seul depuis 9 ans tout en ayant une vie sociale.
Mon expérience de vie m’a conduit à une pensée que j’applique désormais : Avancer seul n’importe où est préférable à rester nulle part avec n’importe qui.