7 raisons de kiffer les COMPLOTS et les RUMEURS
est un article paru sur le site « 7×7 » qui est un nouveau média numérique d’information dont le contenu est entièrement constitué de listicles : articles sous formes de listes.
Qu’est-ce qui peut pousser à croire, défendre et propager des informations non confirmées, de la banale rumeur à la théorie conspirationniste la plus alambiquée ?
Il y avait dans les années 60 cette rumeur tenace : la chanteuse populaire Sheila (née Annie Chancel) était un homme. Combien affirmaient « connaître personnellement le chirurgien qui l’avait opérée » … ou « son meilleur ami » ! On tenait là le type le plus connu sur la place de Paris, qui singulièrement de gens n’ayant jamais approché un chirurgien qu’au moment de leur propre appendicite… Et ce grand ponte ne se sentait donc en rien concerné par le serment d’Hippocrate et le secret professionnel ? Étonnant, non ? L’histoire dura si longtemps que la chanteuse fit filmer le moment venu son propre accouchement, afin que son enfant soit plus tard épargné par le doute. [NB : certains estiment que cette dernière précision est elle-même une rumeur, née pour mettre fin « à la vérité qui dérange »].PUBLICITÉ
En bien des personnes, sinon toutes, coexistent peut-on penser un naïf parfois prêt à croire n’importe quoi ; un Saint-Thomas ultra méfiant ; et un porte-voix heureux de diffuser, à l’occasion, une info pas croyable. Rumeur, légende urbaine, hoax (au siècle d’Internet), tout secret donne à qui le connait et peut le dévoiler, un bel avantage sur ceux qui l’ignorent et le découvrent grâce à lui. Il est chanceux, « le sachant », c’est sûr.
Les complots ou conspirations, dont nos sociétés sont également friandes, sont une autre affaire. Outre la gravité des sujets concernés, leur viralité liée aux réseaux sociaux et à l’accès de tous aux technologies numériques de (dés)information, les conséquences éventuellement funestes de telles croyances ont de quoi interroger l’observateur attentif.
On ne dressera pas ici de catalogue, sinon pour quelques exemples parlants, de théories étranges (celle de « la terre plate » n’est pas la moindre) promues, ici ou là, de « Vérités Qui Dérangent ». Interrogeons plutôt les questions qu’elles posent quant aux ressorts de la psyché, de l’émotionnel, du cognitif, pouvant conduire tant de nos contemporains sur des voies si éloignées de celles communément admises…
1Rumeurs et Complots : L’être humain aime le secret
Bien avant Internet, l’insolent Jacques Dutronc alors en début de carrière lâche en 1966 ce brulot très rock, presque punk : « On nous cache tout, on nous dit rien ».
« L’Affaire Trucmuche et l’Affaire Machin dont on ne retrouve pas l’assassin » évoquent, comme vous voudrez, le mystère J.F. Kennedy ou la fameuse affaire Ben Barka, qui a tant fait parler à l’automne précédent ; affaire qui d’ailleurs, demeure à ce jour irrésolue. Un couplet rappelle aussi que notre confrontation aux vérités supposées cachées est au moins aussi ancienne que « l’affaire du Masque de Fer ».closevolume_off
L’attrait pour le mystère et ses secrets est en soi un moteur de la curiosité humaine. Mais il est un plaisir ambivalent. On veut conserver pour soi les secrets qui nous concernent, mais on savoure de connaître ceux qu’autrui veut préserver pour lui tels quels. On aspire et revendique même une transparence qui rendrait tout visible et lisible par tous. Mais on pressent aussi qu’il y aurait là une négation de l’intime et un manque de respect pour la personne.
Les philosophes peuvent sans fin disserter sur les vertus et dangers du secret. On s’en tiendra à Nietzsche qui, dans le Gai Savoir affirme : « Non, nous ne trouvons plus de plaisir à cette chose de mauvais goût, la volonté de vérité, de la vérité à tout prix, cette folie de jeune homme dans l’amour de la vérité : nous avons trop d’expérience pour cela, nous sommes trop sérieux, trop gais, trop éprouvés par le feu, trop profonds… Nous ne croyons plus que la vérité demeure vérité si on lui enlève son voile ; nous avons assez vécu pour écrire cela. C’est aujourd’hui pour nous une affaire de convenance de ne pas vouloir tout voir nu, de ne pas vouloir assister à toutes choses, de ne pas vouloir tout comprendre et savoir« .
Il faut en somme admettre la nécessité d’une zone d’ignorance, où le secret d’autrui (personne physique ou morale) lui reste attaché. Mais, nous faut-il ajouter pour parler cash, à condition tout de même de s’approcher quand on peut au plus près de la frontière. Là où notre attirance pour le mystère peut s’apaiser un peu.
Mais cette curiosité finalement très humaine d’en savoir un peu plus, à certains ne suffit pas. L’ignorance est pour eux insupportable. Ce qu’ils ne savent pas leur apparait un vide qu’il faut combler, car il faut partout mettre du sens. De la rumeur à la légende en allant jusqu’au complot, on verra que nos croyances en des réalités non confirmées ne comblent pas seulement cette ignorance. Elles participent aussi d’un désir de réenchanter le monde qui nous entoure. Souvent parce que le vrai monde inquiète et fait peur. Et l’étrange, le merveilleux se niche aussi dans l’incroyable, voire dans le terrifiant. Et cela aussi est humain. Trop humain, ajouterait ce bon vieux Nietzsche.COMMENTAIRESPARTAGEZPARTAGEZPARTAGEZ
2Rumeurs et Complots : Cela nourrit l’émotionnel
Qu’appelle-t-on rumeur ? Une information non confirmée qui circule. Et d’autant mieux qu’elle sera volontiers rediffusée par ceux qui l’ont entendue. Plus on pourra la présenter comme émanant de source sûre, meilleure sera sa crédibilité. Des policiers, des journalistes, des proches de la personnalité concernée, joueront souvent ce rôle de validation. Éventuellement, à leur insu.
Pour se propager, la rumeur doit surprendre ou déranger ; elle doit mettre la ou les personnes concernées face à une vérité secrète ; qui les dessert ou les affaiblit souvent ; au niveau de l’image publique (ce qu’on dit) ou de la réputation (ce qui va vous suivre). Le message envoyé peut être orchestré pour nuire, mais pas forcément. On peut estimer que souvent, la rumeur séduit parce qu’elle conforte des idées déjà reçues, conscientes ou non ; parce qu’elle suggère aussi une morale, des conclusions qu’on pourrait en tirer…
Qu’elle vienne apaiser des craintes ou les exacerber, la rumeur parle à notre sphère émotionnelle, et la nourrit.
Un cas d’école fut la fameuse rumeur d’Orléans, dont Edgard Morin tira un livre qui fait encore référence.
Il se disait dans ces années 60 que des jeunes filles disparaissaient lors d’essayages dans des magasins de vêtements. On rapportait qu’elles étaient capturées puis envoyées dans des pays lointains pour y être prostituées. La rumeur faisait grand bruit. Pourtant aucun fait réel ne vint jamais la confirmer. L’analyse sociologique montra des soubassements antisémites, parfois inconscients, à cette invention. On remarqua aussi qu’elle pouvait servir d’avertissement face aux volontés d’émancipation de jeunes filles voulant s’affranchir des valeurs plus traditionnelles de leurs parents. La rumeur apportait alors une réponse, et mettait en évidence des craintes d’évolutions sociales non souhaitées, ou non maîtrisées : du port de la mini-jupe aux revendications de contraception, voire de libération sexuelle.
La même histoire refit d’ailleurs surface dans les années 70 du côté du marché Saint-Pierre (grand marché de tissus parisien), alors que, effet du hasard, la société française rendait légale l’interruption volontaire de grossesse.
La rumeur peut demeurer circonscrite à une micro société précise : entreprise, groupe social particulier. Elle peut prendre davantage d’ampleur jusqu’à devenir nationale. Pour la faire taire on se souvient de personnalités (Isabelle Adjani, ou l’ancien Maire de Toulouse Dominique Baudis) contraintes de venir la démentir sur les plateaux télé. Dans le cas d’Adjani, on expliqua que la rumeur sur son sida ne venait pas seulement témoigner de la crainte de cette nouvelle maladie : elle venait indirectement dénigrer l’implication de l’actrice présente dans une campagne d’affichage aux côtés de SOS Racisme.
Quant aux supposées orgies meurtrières de Dominique Baudis, ne faisaient-elles que nourrir l’idée d’une perversité des élites en général, ou y avait-il une cabale ourdie contre lui spécialement ?
Anodine ou plus embarrassante, la rumeur n’a d’intérêt durable que si l’on connait assez les protagonistes ; et si on se sent proches d’eux. Durant des années, il se disait à Hollywood que Clint Eastwood était un fils caché de Stan Laurel (du duo Laurel et Hardy). Même aux plus belles heures de l’Inspecteur Harry, la connaître éventuellement n’avait pour les cinéphiles français qu’un intérêt secondaire. Qu’elle soit ou non confirmée, la rumeur efficace se nourrit des proximités affectives.
Enfin, insistons bien sur ce dernier point, essentiel : rumeur n’est pas forcément mensonge. Certaines rumeurs concernant des personnalités frappées par le sida ont pu se révéler vraies plus tard, même si les malades ne les avaient pas confirmées de leur vivant.
On se souvient surtout de la fille cachée du Président Mitterrand, bien connue dans les sphères journalistiques et politiques, longtemps avant que Paris-Match ne confirme en 1994 l’existence de Mazarine Pingeot, lors de photos prises à la sortie d’un restaurant parisien. Tant qu’elle n’avait pas été officialisée, l’info demeurait rumeur. À cette même période, dans les couloirs de certains médias on prêtait au Président une autre fille cachée, bien connue du public ; mais celle-là ne fut pas confirmée et demeure probablement des plus fantaisistes.