MISCELLANÉES MAÇONNIQUES par Guy Chassagnard
En franc-maçon de tradition, attaché à l’histoire de ce qui fut jadis le Métier de la Maçonnerie avant que de devenir la Maçonnerie spéculative des Maçons libres et acceptés, notre frère Guy Chassagnard met en chroniques ce qu’il a appris dans le temple et… dans les textes ; en quarante et quelques années de pratique maçonnique. Ceci selon un principe qui lui est cher : Apprendre en apprenti, comprendre en compagnon, partager en maître.
Chronique 178
1758 – Le temps de la discorde
L’implantation de la Franc-Maçonnerie dans le royaume de France ne s’est pas réalisée, loin s’en faut, dans la quiétude et la sérénité : une loge à Paris fondée rue des Boucheries, en 1725, vingt loges à Paris et vingt-quatre en province en 1744, plus de 70 villes et bourgades devenues orients maçonniques en 1755.
Les statistiques sont trompeuses…
La Franc-Maçonnerie a d’abord connu les descentes et les enquêtes de police motivées par une hostilité papale et une défiance royale ; elle a eu ensuite à surmonter les discordes dues au mélange, plus théorique que réel, des classes sociales – on affirme souvent que les hauts grades n’ont eu de raison d’être que la séparation des nobles de la valetaille ; elle a eu enfin à réparer les rivalités et les hostilités internes.
L’accession, en cette année 1758, du maître à danser Lacorne à la charge de « substitut particulier », en d’autres termes de « député » du grand maître, s’ajoutant aux rivalités entre les vénérables maîtres parisiens – souvent propriétaires de leur loge – et leurs homologues – souvent élus – de province va provoquer la première crise de la jeune Grande Loge de France.
De l’avis de Jean-André Faucher, auteur d’une Histoire de la Grande Loge de France, « les officiers nobles des loges parisiennes refusent aussitôt de se soumettre à l’autorité d’un homme de basse extraction ».
« Ils s’abstiennent de répondre aux convocations de Lacorne qui les remplace dans leurs offices. Très vite il existe à Paris deux Grandes Loges qui s’excommunient réciproquement, se proclamant l’une et l’autre régulières. »
La paix maçonnique ne reviendra que longtemps après la mort de Lacorne, survenue en 1762.
- La Franc-Maçonnerie en Question (DERVY, 2017),
- –Les Constitutions d’Anderson (1723) et la Maçonnerie disséquée (1730) (DERVY, 2018),
- –Le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie (SEGNAT, 2016).
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… « rivalités entre les vénérables maîtres parisiens – souvent propriétaires de leur loge – »
Il est curieux de voir que, environ 250 ans plus tard, les mêmes causes produisent les mêmes effets dont nous pâtissons.
En 1744, après la mort prématurée du Duc d’Antin, le Comte de Clermont, prince du sang, est élu comme grand Maître inamovible de la Grande-Loge anglaise de France, contre le Prince de Conti, adversaire déterminé des Bourbons et de la monarchie de droit divin.
Le Comte de Clermont (c’est sans doute la raison de son élection) néglige ses devoirs à l’égard de la Grande-Loge. Son substitut, M. Baure, ne fait pas mieux et laisse la bride sur le cou aux loges du royaume. Il en résulte un grand désordre qui va durer plusieurs années.
Comme dit Claude Antoine Thory : « Cette période est celle des constitutions illégales, des faux titres des chartes antidatées. »
Charles-Edouard Stuart, cousin de la famille royale française et qui cherche toujours à retrouver son trône anglais ajoute à la confusion: le 15 avril 1747 il délivre aux maçons d’Arras une patente de constitution de chapitre sous le titre distinctif d’ « Ecosse jacobite ».
En 1751, est fondé sous le titre de St-Jean d’Ecosse, une loge qui se donna de sa propre autorité le titre de Mère Loge, c’est-à-dire le droit de fonder d’autres Loges, prérogatives qui n’appartient qu’à la Grande Loge.
La Grande Loge donne (ou monnaye, comme la Paulette) des titres personnels à des maîtres inamovibles, qui considèrent leur loge comme une propriété et qui délivrent des constitutions, sans doute contre rétribution, à d’autre Loges, Chapitres, Collèges, Conseils et Tribunaux.
Thoiry écrit encore : « il résulta de ces désordres une telle confusion qu’à cette époque, et longtemps encore après, on ignorait dans l’étranger, et même en France, quel était le véritable corps maçonnique constituant dans le royaume. »
La situation se dégrade quand en 1762, le Comte de Clermont choisit de se faire représenter par M. Lacorne, maître à danser. Mais celui, de trop « basse extraction » est rejeté par La Grande Loge. Lacorne réagit et constitue une seconde Grande Loge avec ses partisans. Chaque faction regroupe des loges qui lui sont fidèles.
Le Comte de Clermont est obligé d’intervenir et rapproche les 2 parties après avoir révoqué Lacorne. Les 2 grandes loges se réconcilient mais cette entente ne dure pas. En 1765, les anciens « lacorniens », par un coup monté, sont écartés des postes d’officiers de la GL et se retirent de la GL en protestant par libelles contre le procédé. L’année d’après ils sont bannis de l’ordre par décret mais en 1767, à la fête de l’Ordre le 24 juin, les frères bannis font un tel « grabuge » que les travaux de la GL furent suspendus par l’autorité royale.
Pendant cette suspension, les « lacorniens » s’activent et clandestinement continuent leurs travaux faubourg St-Antoine. En 1770, Les tentatives de reprendre les travaux de la GL pour contrer ces Frères dissidents échouent devant le refus de la majorité des Loges.
En 1771, le décès du Comte de Clermont laisse le siège de la GM inoccupée. Les « lacorniens » obtiennent l’accord du duc de Chartres (le futur Philippe Egalité) à sa nomination comme GM avec le duc de Luxembourg comme substitut. A l’assemblée de la GL de nouveau autorisée ils se présentent avec l’acceptation du duc de Chartres qu’ils échangent contre leur réintégration et l’annulation des mesures prises contre eux en leur absence.
Mais devant la situation de la Grande Loge, ils demandent la création d’une commission de 8 commissaires chargée de faire un rapport pour remédier aux maux qui l’affligent. En attendant, et devant la quantité invraisemblable de patentes et de constitutions délivrées, ils demandent à toutes les loges du royaume de faire renouveler leurs constitutions qui seront examinées au secrétariat de la Grande Loge.
Fin 1772, la commission, avec le concours du Duc de Luxembourg, prend le parti des frères dissidents et convoquent des assemblées à l’hôtel de Chaulnes. Le 24 décembre, ils déclarent que l’ancienne Grande Loge de France est remplacée par une nouvelle Grande Loge nationale qui fait partie intégrante d’un nouveau corps, le Grand Orient de France.
Le 5 mars 1773, la première assemblée du GODF se tient, confirme la nomination du duc de Chartres comme GM et du duc de Luxembourg comme administrateur général. L’ancien substitut du comte de Clermont, M. Chaillou de Joinville, se rallie à la nouvelle structure.
Le 14 juin toutes les constitutions personnelles délivrées à des maîtres de Loge inamovibles sont supprimées et les nouvelles structures du GODF sont mises en place. Cependant l’ancienne Grande Loge refuse toujours de reconnaître le GO et prend le contrepied de ses arrêts.
Le conflitentre les 2 structures se poursuivra jusqu’à la Révolution avec un net avantage aux points au GO. La terreur qui fit suspendre les travaux de la franc-Maçonnerie sonna la fin du match Le GO, moins monarchiste, passa les années de terreur en conservant une certaine présence, alors que la GLDF avait cessé toute activité
En 1795, le Grand Orient propose à Roettiers de Montaleau, comme une récompense de ses services, la dignité de Grand Maître laissée vacante par la mort de M le duc d’Orléans. Il la refuse et se contente d’accepter le titre de Grand Vénérable, fonction qui bénéficie de toute la puissance attribuée aux G Maîtres de l’Ordre. Un petit nombre de Loges en France reprend ses travaux.
En 1798 Roettiers de Montaleau entame une négociation pour réunir la Grande Loge de France au GO et faire cesser les divisions qui existaient entre ces deux corps depuis près de trente ans de l Histoire de la Franche Maçonnerie
« Le 21 mai Les Commissaires de la Grande Loge et du GO de France concluent un traité d’union qui a pour base l’abolition de l’inamovibilité des Maîtres de Loges, objet principal des discussions qui existaient depuis si longtemps, et le 22 juin les deux corps se réunissent dans une assemblée solennelle pour n en plus former qu’un seul. » (Thory).